Revenir aux chapitres

1. Mur

Protéger - enceindre

1.3Dispositifs de clôture

Le périmètre du mur de Clairvaux mesure 3 km. Ce mur constitue le dispositif de clôture le plus important du monastère comme de la prison. Il n’est pourtant pas le seul moyen pour séparer l’intérieur de l’extérieur.

Afin de préserver les religieux des contacts avec le monde, parfois à portée de vue et de voix – en particulier lorsque le monastère est implanté en ville –, la clôture repose sur des dispositifs concrets et sur l’enceinte, en tout premier lieu.

Simple palissade de bois dans le petit monastère féminin d’Hamage (Nord) au 7e siècle, la clôture dans les monastères carolingiens du 9e siècle se caractérise par une succession de murs, portes et cours qui isolent les moines du monde environnant. La clôture peut parfois devenir muraille, comme au 12e siècle dans le prieuré de Montdidier, en Picardie, séparé de la ville par un fossé avec pont-levis, au sud, et par les fortifications urbaines, au nord.

Ce mur est plus imposant encore pour les religieuses, davantage cloîtrées que leurs homologues masculins : après le concile de Trente au 16e siècle, les couvents féminins s’apparentent à des prisons aux murs épais, aux doubles grilles fermées de volets et de voiles noirs, et aux fenêtres barrées de fer.

LECTURE
Des religieuses enfermées à double tour
00:00
01:39

Pour garantir leur clôture, les couvents féminins se dotent de dispositifs complexes d’ouverture-fermeture. À côté de la porte, l’entrée est dotée d’un « tour », cylindre en bois de la taille d’une petite fenêtre, qui pivote dans le mur afin que des objets puissent passer de part et d’autre de la clôture, sans que les religieuses soient vues.

Tour du couvent de Saint-Alyre à Clermont-Ferrand
Source : © Sparsae

À la clôture matérielle s’ajoute la clôture juridique : au 13e siècle, la sortie sans permission des nonnes comme des moines est automatiquement punie d’excommunication ; au 16e siècle, la même peine sanctionne toute personne qui entre dans un couvent féminin sans autorisation. Pour autant, ces dispositifs matériels et juridiques ne rendent pas la clôture hermétique. L’église constitue ainsi le point le plus fragile du dispositif puisque les laïcs peuvent y pénétrer.

Alors que les dispositifs de la clôture monastique sont relativement semblables d’un monastère à l’autre et pour chaque religieux, ceux des lieux d’enfermements punitifs varient bien plus. Les prisons anciennes sont souvent situées dans des châteaux ou dans des enceintes urbaines, dont les murailles offrent des garanties de sécurité. Néanmoins, le degré de clôture et la capacité d’aller et venir des prisonniers varient en fonction du motif d’incarcération, du statut social et du niveau de fortune. Au Châtelet de Paris, au Moyen Âge, les « basses prisons » situées aux étages inférieurs sont les moins confortables et les plus sûres.

À la Conciergerie – la plus grande prison parisienne au 17e siècle –, seuls les prisonniers dangereux sont enfermés dans des cachots aux murs épais. Les prisonniers peuvent également être détenus dans des fosses auxquelles on accède par un orifice sommital, fermé par une trappe ou une grille. Les prisonniers accusés de crimes graves peuvent être entravés aux poignets, aux chevilles, au cou ou encore immobilisés dans des ceps, des pièces de bois composées de planches superposées, dans lesquelles sont enserrés chevilles et/ou poignets. L’usage des cages au Moyen Âge est, quant à lui, peu fréquent et souvent réservé aux prisonniers de marque.

Un moine et une religieuse entravés, 14e siècle
Moine et religieuse entravés par un cep sur une miniature d’un manuscrit des décrétales de Grégoire IX, avec la glose de Bernard de Parme
Source : Londres, British Library, Royal 10 E IV, f. 187v.

Les lieux d’enfermement n’étant pas toujours adaptés à leur fonction carcérale, ils font l’objet d’aménagements parfois importants. Ainsi, dès le 15e siècle, la Conciergerie, qui correspond à une partie de l’ancien palais royal de la Cité, est progressivement pourvue de dispositifs de sécurité (grilles, guichets, fenêtres à barreaux, etc.). C’est également le cas des nombreux châteaux forts, monastères et autres bâtisses transformés en institutions d’enfermement dont la clôture originelle est renforcée à l’époque moderne.

La clôture s’accentue encore au 19e siècle, avec la généralisation de la peine privative de liberté. À Clairvaux, en 1808, l’administration pénitentiaire utilise les éléments de clôture existants (la forêt qui enserre le site, le mur d’enceinte) et en construit de nouveaux : grilles posées aux fenêtres ; murs séparatifs entre détenus masculins et féminins ou entre la détention et les lieux de travail ; mur de ronde autour de la prison des hommes, de l’infirmerie et des principaux ateliers.

Une succession de murs
Le plan de Clairvaux de 1821 indique, entre autres, l’emplacement de l’enceinte monastique, des murs « séparatifs » et du mur de ronde qui enserre la prison des hommes, l’infirmerie et les principaux ateliers. Troyes, ADA 2 Y 9.
Source : Troyes, ADA 2 Y 9.

Enfin, si les espaces monastiques et les espaces carcéraux connaissent des dispositifs de clôture comparables, des adaptations architecturales profondes sont nécessaires pour passer de l’un à l’autre, comme le montre l’exemple de l’aménagement de l’abbaye de Saint-Nicolas de Melun en maison centrale de détention.