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1. Mur

Protéger - enceindre

1.4Diversité des lieux
d’enfermements punitifs

Aujourd’hui, les prisons s’identifient d’abord par leurs murs, symboles de la peine privative de liberté. À Clairvaux, la transformation de l’abbaye en maison centrale au début du 19e siècle s’est d’abord matérialisée par la réutilisation du mur d’enceinte. En effet, depuis le Moyen Âge, la plupart des lieux d’enfermement – qu’ils servent à garder, contraindre ou punir – ont comme point commun d’être pourvus de murs imposants, en dépit de la diversité des bâtiments qui les accueillent.

En France, la prison médiévale la mieux connue est celle du Châtelet de Paris, aménagée vers 1200. Mais, dans la capitale du royaume de France autour de 1500, on ne compte pas moins de 21 lieux d’enfermement, de configuration et de taille très diverses : châteaux et forteresses pour les prisons royales (Grand Châtelet, Petit Châtelet, Conciergerie, Louvre et Bastille) et épiscopales (For l’Évêque, tribunal et prison de l’évêque de Paris) ou encore lieux de détention à l’intérieur des enclos monastiques (Saint-Germain-des-Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Benoît ou Saint-Magloire) ou dans le quartier des chanoines (cloître Notre-Dame).

Les prisons dans le tissu urbain parisien autour de 1500.
Source : ©ALPAGE : J. Claustre, H. Noizet, P. Rouet (HN, 2017).

Nombre de prisons médiévales et modernes sont aménagées dans des enceintes, tours et portes des villes, châteaux et palais urbains, voire monuments antiques, telle la prison des souterrains de l’amphithéâtre romain à Florence avant le 14e siècle. Certains de ces bâtiments s’identifient même à leurs geôles, comme la forteresse de la Bastille à Paris. Les lieux d’enfermement sont souvent contigus des lieux de pouvoir, tels les hôtels de ville : ils se trouvent alors dans leurs beffrois, comme en Flandre, ou dans leurs souterrains, comme à Nuremberg (les « prisons-trous »). Autre exemple : la prison installée en 1591 dans les sous-pentes du palais des Doges à Venise, appelée les « Plombs » en raison du matériau du toit de l’édifice et immortalisée par le récit de Giacomo Casanova qui s’en évade au 18e siècle.

La prison de Newgate à Londres
La prison de Newgate à Londres, installée dans une des portes du mur d’enceinte de la ville. Construite au 12e siècle, elle reste en usage jusque dans les années 1780, avant d’être remplacée par une nouvelle construction.
Source : Wikimedia Commons.
Chambre de torture des « prisons-trous »
Chambre de torture des « prisons-trous » (Lochgefängnisse) situées sous l’hôtel de ville de Nuremberg, attestées depuis le 14e siècle.
Source : Photographie privée.

Au Moyen Âge comme à l’époque moderne, il est donc rare de construire des bâtiments spécialement conçus pour servir de prison, même s’il existe quelques contre-exemples : l’un des plus fameux est la prison des Stinche à Florence, construite à la fin du 13e siècle, véritable complexe carcéral comprenant, outre des cellules, des appartements pour gardiens et une petite chapelle.

Si, à côté des usages préventifs et coercitifs de la prison, la peine de prison est attestée dès le Moyen Âge, l’enfermement à des fins de punition et de discipline est de plus en plus utilisé à partir du 16e siècle : il concerne alors des pans toujours plus larges de la société et sa pratique est si répandue que certains, comme Michel Foucault, qualifient cette époque comme celle du « grand renfermement ».

De nouvelles institutions voient alors le jour : BridewellsBridewell : ancien palais royal à Londres, transformé à partir de 1553 en hôpital et orphelinat, puis en prison et maison de correction. Le nom de l’établissement se transmet ensuite à d’autres institutions anglaises, mais aussi irlandaises ou canadiennes, destinées à enfermer pauvres, criminels, malades ou enfants abandonnés. et Workhouses en Angleterre dès 1555, TuchthuizenTuchthuizen : établissements d’enfermement fondés à la fin du 16e siècle en Hollande pour endiguer la criminalité sans recourir aux peines capitales traditionnelles. Le premier en est le Rasphuis (« maison de fabrication de copeaux ») ouvert en 1595 à Amsterdam où sont enfermés des hommes, criminels ou marginaux, astreints au travail forcé. L’équivalent féminin de cette institution est le Spinhuis (« maison de filature »), fondé en 1597. Les deux institutions servent de modèle pour de nombreux établissements du même genre dans les autres villes hollandaises. aux Pays-Bas à partir de 1595, ZuchthäuserZuchthaus (« maison de discipline ») : dans l’espace germanique s’établissent au 17e siècle, à l’instar des Bridewells anglais et des Tuchthuizen hollandaises, de nouveaux établissements d’enfermement qui internent les populations errantes (mendiants et vagabonds), les petits criminels et autres fauteurs de trouble (prostituées, ivrognes, etc.). Les enfants abandonnés ou internés à la demande de leurs parents ainsi que les malades psychiques et physiques y sont également placés, ce qui inscrit ces institutions dans la tradition des hospices et hôpitaux médiévaux. dans l’espace germanique au 17e siècle.

Ces institutions d’enfermement sont, pour certaines d’entre elles, installées dans d’anciens monastères devenus vacants à la suite de la Réforme : leur organisation spatiale se prête bien au logement, au travail et à la pratique religieuse d’un nombre relativement important de reclus. Ainsi, le Rasphuis d’Amsterdam, fondé en 1596, est installé dans un ancien couvent de clarisses ; la Zuchthaus de Lubeck investit l’abbaye Sainte-Anne en 1613 ; celle de Pforzheim, en Bade, se loge dans l’ancien couvent des dominicaines en 1718. Des choix comparables s’observent dans les pays catholiques, mais plus tardivement : en 1804, à Munich, l’abbaye des Ermites de Saint-Paul est transformée en établissement pénitentiaire.

Maison de discipline de Munich-Au
Maison de discipline de Munich-Au, installée dans l’ancienne abbaye de l’ordre des Ermites de Saint-Paul, construite en 1660 et dissoute en 1799. Avant de servir de prison, le lieu est utilisé entre 1800 et 1801 comme hôpital militaire français.
Source : Carte postale, 1928. Landeshauptstadt München, Stadtarchiv.

Parallèlement, de nouveaux bâtiments sont construits. Tel est le cas des nombreux hôpitaux généraux ou dépôts de mendicité en France au 17e siècle : à Paris en 1612 (hôpital de la Pitié), à Rouen en 1646 ou encore à Caen en 1670. De même, dans l’espace germanique au 18e siècle, plusieurs maisons de discipline (Zuchthäuser) sont édifiées, à Bayreuth en 1724-1735 ou à Osnabrück en 1756-1767. Ces nouvelles constructions s’inspirent le plus souvent du plan quadrangulaire de l’architecture monastique.

Cependant, d’autres types de bâtiments continuent d’être utilisés comme prisons, notamment des forteresses : celle de Pignerol (Piémont), où Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, meurt en 1680, ou le château d’If, près de Marseille, devenu prison d’État entre 1580 et 1871.

le château d’If
Édifié entre 1527 et 1529 par François Ier sur l’un des îlots de l’archipel du Frioul, le château d’If devait protéger la côte et les galères royales au mouillage dans le port de Marseille, ainsi que surveiller la ville, rattachée au royaume de France un demi-siècle plus tôt. Entouré par la mer, le site est particulièrement isolé et donc réputé sûr, ce qui explique, entre autres, son utilisation comme prison à partir de la fin du 16e siècle.
Source : « Le château d’If où les prisonniers communeux (sic) de Marseille sont internés », Le Monde illustré, 8 juillet 1871, p. 20. gallica.bnf.fr / BnF.

Au cours du 19e siècle, le remploi des abbayes vacantes s’inscrit donc dans une tradition ancienne d’utilisation de lieux très divers pour enfermer des délinquants ou d’autres catégories de personnes. La sécurité des murs d’enceinte et les potentialités offertes par les nombreux bâtiments des enclos monastiques expliquent en partie ce choix. Mais ces avantages ne doivent pas faire oublier que la transformation des monastères n’est pas automatique et qu’elle s’accompagne toujours de travaux d’aménagement importants.