La porte de l’enceinte (B), vue de l’extérieur. Maison centrale de Clairvaux, 1931.
Source : © Henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP, M-28-009.
À partir des 8e-9e siècles, l’espace monastique est défini par une clôture censée préserver sa pureté et sa sacralité. Les accès sont régulés pour en interdire l’entrée aux personnes extérieures. Cette régulation doit également empêcher les religieux de sortir et de se mêler à la vie mondaine. Le nombre de dispositifs d’accès est donc nécessairement réduit. Le plan de l’abbaye de Clairvaux de dom Milley (1708) indique trois portes au total, deux extérieures et une intérieure. À l’ouest, du côté du Petit Clairvaux, se trouve la porte dite « première » (A), et au sud, une porte (B) près de laquelle se situe l’hôtellerie. Chacune de ces portes extérieures comporte une ouverture pour les piétons et une autre pour les véhicules. Que l’on entre par l’une ou par l’autre, les chemins empruntés conduisent devant l’unique porte intérieure du monastère (C), celle qui permet de réguler l’accès à l’espace claustral, réservé aux moines. Le même système de double porte (extérieure et intérieure) se retrouve dans l’abbaye bénédictine de Marmoutier, ce qui crée des zones-tampon entre l’espace claustral et l’espace extérieur.
L’importance symbolique de la porte du monastère, lieu de passage d’un monde à l’autre mais également lieu de représentation de l’autorité monastique face au monde extérieur, est souvent soulignée par son aspect monumental. La porte peut ainsi atteindre les dimensions d’un véritable bâtiment, souvent appelé « porterie ». Ce terme désigne également le service monastique chargé de la réception des donations charitables, de l’accueil et de la prise en charge des personnes se présentant à la porte du monastère, notamment les pauvres auxquels les moines dispensent leurs bienfaits. Quand le monastère est situé en ville, le contrôle des sorties est plus étroit : l’église monastique, surtout lorsqu’elle est aussi celle d’une paroisse, peut alors jouer le rôle de point de contact avec l’extérieur.
Dans les prisons anciennes, souvent situées dans des bâtiments fortifiés, la porte est également plurielle : à la porte de la forteresse s’ajoute celle derrière laquelle se trouvent les geôles. En français médiéval, on l’appelle le « guichet ». Celui du Châtelet de Paris est doté de deux portes successives (« deux huis »), entre lesquelles se tient le « clerc » qui note sur son registre d’écrous entrées et sorties des détenus. C’est l’homme qui accueille le prisonnier à son arrivée et le dernier visage de la prison qu’il voit lors de sa délivrance.
Le second personnage important est le geôlier, détenteur des clefs de la geôle. À la geôle de l’abbaye de Saint-Denis au 14e siècle, plusieurs geôliers assurent une présence permanente : ce sont eux qui remettent les clefs au juge quand il doit traiter le cas d’un détenu. Le règlement de cette geôle, daté de 1380, indique la bonne manière d’utiliser ces clés : « Toutes les fois que le geôlier entrera dans l’une des prisons pour visiter [les prisonniers] ou autrement, il fermera à clef le verrou à l’intérieur, la porte grande ouverte afin que l’on ne puisse l’enfermer dedans ».
La porte n’est pas moins importante dans les espaces carcéraux contemporains. Dans la maison centrale de Clairvaux, malgré les profonds remaniements opérés par les moines au 18e siècle, la configuration des portes reste la même qu’au Moyen Âge : une porte à l’ouest (A) et une porte au sud (B) qui débouchent sur la porte intérieure (C), surmontée d’un bâtiment désormais occupé par les bureaux de la direction de la prison.
Néanmoins, cette continuité n’exclut pas des projets de construction d’autres portes à l’intérieur de l’enceinte. Ainsi, en 1817, l’architecte Sylvestre propose d’ériger une porte entre la « cour de la direction » (cour d’honneur) et la « cour des prisons » située en face du bâtiment des convers, devenu « prison des femmes ». On ignore si ce projet a abouti, mais c’est à cet endroit que se trouve aujourd’hui le sas de sécurité donnant accès aux bâtiments de la maison centrale édifiés en 1970-1971.
En outre, l’accès aux prisons est l’objet de dispositions détaillées dans les règlements. Par exemple, à Beaulieu, en 1811, « un des guichetiers sera toujours de service et veillera à ce que la guicheterie ne soit pas encombrée de détenus » ; les personnes autorisées à parler aux prisonniers ne pourront pas entrer dans la maison plus d’une demi-heure et seront fouillées à l’entrée et à la sortie « par des individus de même sexe ».
À Limoges comme à Clairvaux, concierges et guichetiers sont logés à l’entrée de la maison centrale. Cette présence humaine complète les dispositifs matériels organisant les accès.