Revenir aux chapitres

2. Porte

Entrer - sortir

2.3Visites

En dépit de la clôture, monastère ou prison ne sont jamais totalement hermétiques, notamment parce que des visiteurs y pénètrent sous certaines conditions. À Clairvaux, les familles qui font chaque jour la queue devant la porte de la prison afin d’accéder au parloir des détenus sont un témoignage vivant de la longue histoire des visites en milieux clos.

Les monastères reçoivent régulièrement des personnes étrangères à la vie consacrée (indigents, dépendants, artisans, pèlerins ou encore hôtes de marque). Les visiteurs de courte durée ne vont pas au-delà de la « porterie », un bâtiment au sein duquel les flux sont contrôlés et régulés. Les religieux y rencontrent les visiteurs pour traiter des affaires courantes ou distribuer les aumônes. Ils peuvent aussi voir leur famille au parloir.

Parloir d’un couvent vénitien, 18e siècle
La clôture est matérialisée par les grilles et les rideaux noirs qui séparent les religieuses des visiteurs (parents, administrateurs des biens et des propriétés rurales du couvent, vendeurs de denrées, etc.).
Source : Francesco Guardi, Le parloir des nonnes de San Zaccaria, 1745-1750. Venise, Museo del Settecento Veneziano, Ca’ Rezzonico.

Les monastères ayant, en outre, une fonction d’accueil, certains visiteurs séjournent plus longuement dans l’hôtellerie, proche de la porte.

Porterie de l’abbaye de Port-Royal des Champs
Porterie de l’abbaye de Port-Royal des Champs, composée d’une porte piétonne carrée et d’une porte charretière cintrée : les pauvres y reçoivent les aumônes. Gouache du 18e siècle d’après une gravure de Madeleine Horthemels (1686-1767).
Source : Magny-les-Hameaux, Musée national de Port-Royal des Champs © RMN-Grand Palais.

Les espaces monastiques se divisent donc en deux zones : l’une accessible aux visiteurs (porterie, hôtellerie, église), l’autre pas (cloître, salle capitulaireSalle capitulaire (ou salle du chapitre) : dans une abbaye, lieu où se réunit quotidiennement la communauté religieuse., dortoir), afin de ne pas perturber la vie religieuse. Au 18e siècle, dans le couvent des Annonciades célestes de Mons, les bâtiments ouverts sur l’extérieur donnent sur la rue quand ceux réservés aux religieuses sont placés en retrait.

Plan du monastère des Annonciades célestes de Mons, fin 18e siècle
Les lieux ouverts aux personnes extérieures sont situés côté rue et accessibles depuis celle-ci : église, logement des servantes, parloirs. En revanche, les lieux réservés aux religieuses sont situés en retrait et protégés par la clôture : chœur des religieuses, cloître, salle capitulaire, ouvroir, réfectoire, cuisine. Les cellules des religieuses se trouvent à l’étage.
Source : © Julie Piront d’après un plan de 1787, Bruxelles, Archives générales du Royaume, fonds des cartes et plans, n° 1907.

En dépit de la clôture plus stricte des couvents féminins, certaines personnes extérieures y pénètrent aussi : les prêtres pour entendre les confessions et administrer les sacrementsSacrement : dans la liturgie chrétienne, signe sacré institué par Jésus et actualisé dans l’Église ; il est par lui-même source de la grâce divine qu’il fait naître ou qu’il augmente. Selon la doctrine catholique, ils sont au nombre de sept : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, onction des malades, ordre et mariage. ; les abbés, évêques et directeurs spirituels pour contrôler les religieuses. Dans l’ordre de Fontevraud, l’abbé visiteur a cependant interdiction de passer la nuit au monastère ou de manger et boire avec les sœurs. Dans les monastères féminins comme masculins, l’identité des visiteurs, les temps de visite et les espaces dévolus à celle-ci sont, en principe, strictement contrôlés. Cependant, la clôture est loin d’être toujours respectée : moines et nonnes vivent parfois avec certains de leurs parents ; les bienfaiteurs du monastère peuvent manger à la table de l’abbé ; il arrive que concubines et prostituées soient cachées dans les dortoirs et les cellules, quand elles ne vivent pas avec les religieux au vu et au su de tous…

La visite aux prisonniers
La visite aux prisonniers est l’un des devoirs du chrétien. Un notable parle aux prisonniers par la grille, tandis qu’un autre, portant une bourse, aide un prisonnier à se relever. La prison est représentée par la grille, la porte basse et le crénelage. La gravure représente les sept œuvres de miséricorde. À gauche, de haut en bas, donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir les nus ; visiter les malades ; à droite, loger les pèlerins, ensevelir les morts, visiter les prisonniers.
Source : Francesco Rosselli, La prédication du frère Marc, 15e siècle. Paris, BNF.

Les prisons médiévales sont également des espaces relativement poreux, notamment en raison de leur mode d’organisation – les prisonniers étant souvent nourris par leurs proches. Parents, amis, domestiques, magistrats, personnes charitables portant un secours moral et matériel aux prisonniers, créanciers, procureurs, avocats ou encore solliciteurs peuvent y entrer.

Visiter les prisonniers (Les œuvres de miséricorde)
Source : gravure d’Abraham Bosse, 1635. New York, Metropolitan Museum.

À la fin du 16e siècle, le procureur du tribunal de Séville indique que la prison de la ville (qui accueille parfois jusqu’à 1000 détenus) grouille de visiteurs

LECTURE
Une prison fourmilière au 16e siècle
00:00
00:31
La prison royale de Séville.
Source : Plan de Juan Navarro, 1714. Madrid, Archivo Historico Nacional.

Dans la prison de la Conciergerie de Paris au 17e siècle, les visiteurs sont autorisés à entrer de 9 h à 19 h. Si certains restent au seuil, d’autres pénètrent parfois jusque dans les chambres des prisonniers.

Ces visites sont également attestées dans les grands établissements fermés du 18e siècle, comme les maisons de discipline allemandes( ZuchthäuserZuchthaus (« maison de discipline ») : dans l’espace germanique s’établissent au 17e siècle, à l’instar des Bridewells anglais et des Tuchthuizen hollandaises, de nouveaux établissements d’enfermement qui internent les populations errantes (mendiants et vagabonds), les petits criminels et autres fauteurs de trouble (prostituées, ivrognes, etc.). Les enfants abandonnés ou internés à la demande de leurs parents ainsi que les malades psychiques et physiques y sont également placés, ce qui inscrit ces institutions dans la tradition des hospices et hôpitaux médiévaux. ) : aux visiteurs de passage, fournisseurs et entrepreneurs chargés des ateliers et manufactures s’ajoutent les gens des villages ou des quartiers alentours venus assister à l’office dans l’église de l’établissement. Cet usage fort répandu offre aux détenus de multiples occasions d’entrer en contact avec ces personnes extérieures, voire de profiter de leur présence pour s’enfuir.

Au 19e siècle, les visites changent de nature, notamment parce que les prisons sont désormais plus étanches. Les études menées par les réformateurs du système pénitentiaire (Howard en Angleterre, Wagnitz en Allemagne, Tocqueville et Beaumont en France) se fondent ainsi en partie sur les visites qu’ils effectuent dans les prisons de leur pays ou à l’étranger. Par ailleurs, la visite des prisons est à la mode. Pratiquée le dimanche en famille, elle instruit et amuse. Encouragés par les gardiens, qui escomptent des pourboires, les visiteurs se massent devant les œilletons des cellules.

LECTURE
Un divertissement familial : la visite d’une prison
00:00
00:37
Visite dans la prison parisienne de Saint-Lazare, 19e siècle
Visite aux Communards dans la prison parisienne de Saint-Lazare
Source : Dessin de Frédéric Lix, 1871. Le Monde illustré, 5 août 1871, p. 85. gallica.bnf.fr / BnF.

De telles visites cessent définitivement lorsque les prisons deviennent des institutions exclusivement pénitentiaires : les églises sont fermées aux fidèles des environs, les débits de boissons sont réservés aux prisonniers. À Clairvaux, d’après un règlement de 1814, seuls sont autorisés à entrer, les dimanche et jeudi, les employés de la prison, le personnel judiciaire et les personnes munies d’une permission écrite du préfet ou du directeur. La prison devient un lieu de solitude, interrompue par les rares visites des proches aux détenus. Elles se tiennent dans un lieu qui n’est pas sans rappeler une pratique monastique : le parloir.