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2. Porte

Entrer - sortir

2.4Sorties autorisées

Monastères et prisons forment des espaces plus ouverts qu’on ne le croit. À Clairvaux, granges et celliers de l’abbaye médiévale, dont certains sont encore visibles aujourd’hui (par exemple à Longchamp-sur-Aujon ou à Colombé-le-Sec) rappellent que les moines, comme les prisonniers, ne restent pas toujours cloîtrés : ils sortent de temps à autre pour se livrer à différentes activités, liées notamment au travail.

Bien qu’astreints à la clôture, les religieux franchissent souvent la porte de l’enceinte pour se rendre aux alentours du monastère ou entreprendre des voyages plus lointains. Ces sorties sont considérées comme licites dès lors que l’abbé les autorise. En revanche, si le moine reste en dehors du cloître au-delà du délai prescrit, il est considéré comme un fugitif et puni comme tel.

Les motifs de sorties sont variés : religieux (pèlerinage, œuvres charitables), gestionnaires (ravitaillement du monastère, gestion des exploitations agricoles), administratifs (traiter des affaires du monastère ou de l’ordre religieux, en se rendant, par exemple, au chapitre généralChapitre général : réunion annuelle des supérieurs d’un même ordre religieux, généralement dans l’abbaye fondatrice de l’ordre (Cîteaux pour les cisterciens). ou personnels (consultation médicale, cure thermale). Ainsi, les coutumes de l’abbaye clunisienne de Moissac du 14e siècle autorisent les moines à visiter leur famille, mais restreignent ces visites à une seule fois par an en raison des dépenses que cela entraîne. La sortie du cloître peut parfois durer plusieurs années : les religieux étudiant dans les universités de Paris, Oxford ou Bologne y séjournent près d’une dizaine d’années.

Toute sortie est cependant très encadrée. Au 16e siècle, les moines de Saint-Martin-des-Champs ne doivent pas sortir sans être accompagnés d’un autre moine. À l’extérieur, ils ne doivent s’entretenir qu’avec des gens d’Église et une fois rentrés au monastère, il leur est interdit de rapporter aux autres les rumeurs du monde.

Deux moines en voyage font halte devant une auberge
Pieter Brueghel le Jeune, Deux moines en face d’une auberge, 1600-1610
Source : Collection privée.

Les moines de chœur demeurent la plupart du temps dans le monastère et leurs sorties sont très réglementées, tandis que les officiers claustraux (cellérier, aumônier…) sont autorisés à sortir en raison de leurs responsabilités. À l’abbaye anglaise de Bury St Edmunds au 13e siècle, ces officiers disposent pour leurs déplacements d’un cheval, de matériel d’équitation et de capes de pluie.

Le moine Cuthbert en voyage en mer, 12e siècle.
Source : Londres, British Library, Yates Thompson MS 26, f. 26r.

Les moniales sont astreintes à une clôture plus rigoureuse, surtout après le 13e siècle, et quittent rarement leur couvent. Ainsi les constitutions des bénédictines de Notre-Dame du Calvaire au 17e siècle indiquent que les religieuses ne peuvent sortir qu’en cas d’incendie, d’inondation, de maladie ou de transfert dans un autre établissement. La sévérité de la clôture varie toutefois selon les communautés considérées, certaines religieuses pouvant obtenir l’autorisation de sortir à condition qu’elles se montrent irréprochables.

LECTURE
Les nonnes sont de sortie !
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Les institutions carcérales ne sont pas moins poreuses. Au Moyen Âge comme à l’époque moderne, certains prisonniers ont le droit de sortir en journée. Au 17e siècle, la prison londonienne The Fleet compte ainsi une vingtaine de gardiens chargés de les accompagner lors de leurs sorties en ville. Il en va de même à la Conciergerie de Paris : guichetiers et huissiers surveillent les prisonniers hors de la prison.

On retrouve cette porosité dans les maisons de discipline allemandes de l’époque moderne (ZuchthäuserZuchthaus (« maison de discipline », pluriel Zuchthäuser) : dans l’espace germanique s’établissent au 17e siècle, à l’instar des Bridewells anglais et des Tuchthuizen hollandaises, de nouveaux établissements d’enfermement qui internent les populations errantes (mendiants et vagabonds), les petits criminels et autres fauteurs de trouble (prostituées, ivrognes, etc.). Les enfants abandonnés ou internés à la demande de leurs parents ainsi que les malades psychiques et physiques y sont également placés, ce qui inscrit ces institutions dans la tradition des hospices et hôpitaux médiévaux.) où les sorties des résidents dépendent du régime de clôture auquel ils sont soumis. Le modèle économique de ces institutions implique en effet de nombreuses sorties.

Ainsi, sur un dessin de 1809 représentant l’établissement de Waldheim, les malades ou indigents (vêtus d’un habit bleu et d’un tablier blanc) ont le droit de se promener aux alentours, voire de se rendre en ville. Les forçats (Züchtlinge), enfermés pour crimes ou mauvais comportements, vêtus d’un habit jaune, sont quant à eux souvent employés à l’extérieur : ils effectuent des travaux agricoles, tirent des chariots, travaillent comme journaliers auprès de fermiers ou sont réquisitionnés pour construire et réparer les routes.

Enfin, certains résidents bénéficiant de la confiance de la direction travaillent chez les officiers de l’établissement, ce qui implique parfois qu’ils sortent à l’extérieur, par exemple pour porter des messages ou chercher des médicaments.

Maison de discipline de Waldheim en Saxe
Dessin coloré, 1809.
Source : Waldheim, Stadtarchiv, Endarchiv, F/K 2742.

Au 19e siècle, lorsque la peine privative de liberté se généralise, la plupart de ces usages disparaissent : la prison se coupe du monde. S’il arrive encore que des détenus soient employés aux champs, notamment dans les colonies pénitentiaires agricolescolonie pénitentiaire : en France, établissement pénitencier pour mineurs, apparu dans la première moitié du 19e siècle, visant à punir ou redresser moralement les mineurs délinquants en les séparant des adultes, à les éduquer ou les rééduquer en leur apprenant un métier. La première colonie agricole pénitentiaire pour enfants a été fondée en 1839 à Mettray, près de Tours. La loi du 5 août 1850 sur l’« éducation et le patronage des jeunes détenus » officialise et généralise les colonies pénitentiaires, qualifiées en fonction de leur vocation : agricoles, industrielles (Aniane), horticoles (Ajaccio) ou encore maritimes (Belle-Île-en-Mer). pour mineurs, ou sur des chantiers, ils sont désormais strictement surveillés, par exemple par des soldats qui forment une sorte de « clôture mobile » dans l’espace. En dehors de ces quelques échappées, les prisonniers demeurent confinés à l’intérieur de l’espace carcéral : ils doivent pleinement éprouver le sens de leur enfermement.