La règle de Benoît fait du moine vagabond l’antithèse du bon moine qui reste attaché, sa vie durant, à son lieu de prière. Au 13e siècle, alors que les nouveaux ordres religieux militaires (Hospitaliers, Templiers) et mendiants (franciscains, dominicains) assurent avec succès une part de leur vocation religieuse en dehors du cloître (défense de la Terre sainte, secours aux pèlerins, prédication), le vagabondage des moines (bénédictins, chartreux, etc.) est, quant à lui, sanctionné par le droit canonique comme un crime : tout religieux sortant de l’enceinte sans autorisation est qualifié d’apostatApostat : personne ayant abandonné publiquement sa religion ou, dans le cas des religieux, moine ou religieuse ayant renoncé à ses vœux monastiques. ou de fugitif, et automatiquement excommunié. Cette sanction vaut quels que soient le motif et la durée de la sortie illicite.
Malgré les dispositifs de clôture et de contrôle de la porte, nombreux sont les moines et les religieuses à sortir illicitement de leur monastère pour des motifs plus ou moins avouables : rendre visite à leur famille, conter fleurette, festoyer avec les laïcs à la taverne... Ainsi, l’évêque anglais de Coventry rappelle en 1315 au prieur de l’abbaye de Chester qu’il doit rester dans le monastère, et non chasser dans la forêt avec son arc.
À ces sorties temporaires s’ajoutent des sorties plus ou moins définitives. Certains religieux fuient l’atmosphère délétère du cloître. D’autres cherchent à se soustraire à une profession forcée ou à la réforme imposée à leur communauté. D’autres encore ont commis une faute et tentent d’échapper à la sanction. Ainsi, en 1462, Jean Blanchard, un bénédictin de Saint-Michel de Tours coupable de vol et de rupture de son vœu de chasteté, sort à plusieurs reprises du monastère, de jour comme de nuit. Incarcéré par son abbé, il brise les portes de la prison et se rend à Rome pour obtenir le pardon du pape.
Dans le monde carcéral, les évasions sont davantage encore un sujet de préoccupation des autorités et l’objet de nombre de récits, à l’instar de l’Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise de Casanova (1788).
Les prisons médiévales et modernes offrent en effet de multiples possibilités d’évasion. À la Conciergerie de Paris au 17e siècle, fenêtres et ouvertures, nombreuses, permettent d’échanger messages et outils.
Ces tentatives sont plus aisées encore dans des institutions où vivent plusieurs centaines de personnes, comme dans les maisons de discipline allemandes ( ZuchthäuserZuchthaus (« maison de discipline », pluriel Zuchthäuser) : dans l’espace germanique s’établissent au 17e siècle, à l’instar des Bridewells anglais et des Tuchthuizen hollandaises, de nouveaux établissements d’enfermement qui internent les populations errantes (mendiants et vagabonds), les petits criminels et autres fauteurs de trouble (prostituées, ivrognes, etc.). Les enfants abandonnés ou internés à la demande de leurs parents ainsi que les malades psychiques et physiques y sont également placés, ce qui inscrit ces institutions dans la tradition des hospices et hôpitaux médiévaux. ). Leur organisation économique favorise des mouvements propices à la fuite, de même que la disposition et l’état des bâtiments rendent difficile la surveillance.
On s’enfuit par les étables ou les jardins, par des fenêtres restées sans grille ou encore par les conduits de cheminées : il suffit de saisir la bonne occasion. D’autres profitent de la présence de visiteurs, comme ce détenu de Leipzig qui, en 1743, s’enfuit en se mêlant aux fidèles venus pour assister à l’office, après avoir percé le mur de sa cellule jouxtant l’église. D’autres encore usent de la ruse, en se déguisant avec des vêtements volés ou en simulant un incendie pour profiter du chaos ainsi produit. Autrement dit, avant 1800, il n’est pas obligatoire de recourir à la violence ou à la force pour sortir de prison.
Beaucoup de fugitifs sont cependant rattrapés, souvent avec l’aide de la population des environs. En Saxe, entre 1804 et 1809, on compte ainsi 130 détenus en cavale, dont 52 sont repris.
Les autorités s’efforcent de réduire les possibilités d’évasion. Dès le Moyen Âge, ceux dont on craint la fuite en raison de leur dangerosité sont entravés par des chaînes et autres dispositifs de contention.
Après chaque évasion, on pose des grilles aux fenêtres qui n’en avaient pas encore et on mure des passages restés ouverts. Ces travaux destinés à empêcher les évasions créent paradoxalement de nouvelles possibilités de fuite.
En 1817, à Clairvaux, deux prisonniers s’évadent par les canalisations : un serrurier est alors chargé de poser des grilles afin de les rendre inaccessibles, avec l’aide de trois détenus. L’un d’eux, autorisé à dormir dans le logement de l’artisan situé dans la première cour de la prison, en profite alors pour prendre la poudre d’escampette. Le manque de moyens pour sécuriser les lieux de détention n’est pas étranger au succès de ces évasions.