Au Moyen Âge, tout le monde peut se retrouver en prison : hommes et femmes, nobles et bourgeois, jeunes et vieux. Comme le montre une fresque de Giulio Romano au Palais du Te à Mantoue (1527-1528), les prisonniers peuvent être logés dans une seule pièce située, par exemple, dans les sous-sols des hôtels de ville, les tours des remparts ou encore des forteresses.
Certaines prisons médiévales particulièrement vastes prévoient cependant de répartir les détenus en fonction de leur origine sociale. Au Châtelet de Paris, dès le début du 14e siècle, le règlement de la geôle n’évoque pas moins de quinze noms de lieux différents (beauvoir, mote, salle, boucherie, beaumont, griesche, beauvais, fosse, puits, gourdaine, bersueil, oubliette, barbarie, gloriette, entre deux huis). Confort et sûreté y sont très variables, les « basses prisons » des étages inférieurs étant les plus inhospitalières et les mieux sécurisées. La répartition des prisonniers dans ces diverses salles dépend du motif de leur incarcération et de leur statut social (chevalier, écuyer, manieur d’argent souvent appelé lombard, etc.). Par exemple, à la fin du 14e siècle, le chroniqueur Froissart nous apprend que le chevalier Gautier de Manni, incarcéré sur ordre du roi Philippe VI pendant sept semaines, est placé en une « chambre assez honnête » où il dispose de deux ou trois valets et où il fait chanter la messe quotidiennement.
Les lieux de détention se multiplient durant l’époque moderne, ce qui permet parfois d’affecter des espaces propres à différents groupes de prisonniers.
Ainsi, à Nuremberg, importante ville du Saint-Empire germanique, les tours du mur d’enceinte renferment les prévenus en fonction de leurs délits. Les « prisons-trous » (Lochgefängnisse), situées dans les sous-sols de l’hôtel de ville, près du tribunal, accueillent les prévenus ainsi que les condamnés en attente de l’exécution de leur peine. Les débiteurs insolvables sont, quant à eux, enfermés dans deux des tours situées au centre de la ville (Schuldtürme), l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes ; ces tours sont parfois désignées sous le nom de « petite maison des fous » (Narrenhäuslein), ce qui renvoie à l’une de leur fonction secondaire : écrouer déments, bagarreurs ou alcooliques.
À l’inverse, d’autres établissements créés à l’époque moderne enferment dans un même bâtiment différentes catégories de personnes, ce dont témoigne, par exemple, l’inscription du fronton de la maison de discipline de Leipzig, en Saxe : « Soigner les pauvres, éduquer les orphelins, punir les vicieux ». Ces institutions étant pensées comme des « maisonnées » où le travail est le remède à tous les maux sociaux, plusieurs centaines de personnes vivent parfois sous un même toit, alors qu’elles sont enfermées pour des raisons très diverses (indigence, criminalité, maladie, indiscipline pour les enfants, etc.). L’hétérogénéité des statuts sociaux n’est pas moindre puisqu’on y trouve des populations marginales (mendiants, vagabonds), des domestiques mais également des artisans, des étudiants, voire d’anciens pasteurs ou des percepteurs d’impôt sanctionnés pour fraude.
Cette cohabitation n’empêche pas les hiérarchies sociales de subsister. Les résidents issus de couches supérieures de la société bénéficient, moyennant paiement, d’un statut spécifique améliorant leurs conditions de vie (nourriture, logement séparé, domestiques choisis parmi les autres reclus, table partagée avec le directeur de l’établissement).
Ces différences de traitement permettent de conserver la distance sociale entre les privilégiés et les autres résidents. On observe les mêmes pratiques dans les prisons de taille plus modeste ou dans les hôpitaux. Dans ces derniers, on distingue les pensionnaires qui paient leur séjour et qui jouissent par conséquent de quelques privilèges, des « prébendiers » pauvres, accueillis à titre gracieux mais entassés parfois par dizaines dans des chambres miséreuses.
Dans les maisons centrales du 19e siècle, une telle hiérarchisation des détenus en fonction de leur condition sociale n’existe pas : en théorie, le traitement est le même pour tous. Cependant, on constate des différences entre prisonniers de droit commun, issus de milieux défavorisés ou populaires, et les détenus « politiques » au statut social souvent plus élevé et qui bénéficient de conditions de détention meilleures (logement à part, vivres reçus de l’extérieur…). À Clairvaux, tel est le cas du prince russe anarchiste Kropotkine, du jeune duc Philippe d’Orléans, qui enfreint la loi d’exil en 1890, ou encore du socialiste Blanqui vers la fin de sa détention.