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3. Bâtiment des convers

Diversité des reclus

3.3Hommes et femmes
au monastère

Clairvaux est une abbaye d’hommes – moines et convers – dans laquelle s’est logée, au 19e siècle, une prison mêlant un temps des hommes et des femmes. Si le principe de séparation des sexes est fondamental dans les espaces monastiques, il ne se traduit pas pour autant par une absence totale de contacts.

Dès les débuts du monachisme, il existe des monastères « doubles » accueillant des religieux et des religieuses. Dans les abbayes de l’ordre de Fontevraud, fondé vers 1100 par Robert d’Arbrissel, moines et religieuses vivent dans deux cloîtres séparés mais partagent la même église où ils ne se mêlent pas. Ces abbayes sont dirigées par des abbesses, à qui les moines doivent se soumettre afin d’apprendre l’humilité. Ce type de monastères doubles se retrouve dans l’ensemble du monde chrétien, jusqu’au Liban entre 17e et 19e siècles.

En revanche, dans l’ordre cistercien, l’hostilité à l’égard de toute forme de contacts est telle que les abbayes de femmes sont éloignées de celles des moines, quitte à favoriser l’autonomie des religieuses et de leur abbesse, telle Héloïse, abbesse du Paraclet, dans l’Aube, au 12e siècle.

Moine et nonne, 1591
Souvent interprété comme une illustration de la dépravation des moines, ce tableau représente en réalité un moine dépêché comme expert dans un monastère féminin. En palpant le sein de la moniale et en regardant s’il est gorgé de lait, il tente de déterminer ainsi si la nonne a donné naissance à un enfant, donc si elle a fauté en enfreignant la règle de la clôture.
Source : Cornelis van Haarlem, Miracle d’Haarlem ou Moine et nonne, 1591. Wikimedia Commons.

La clôture des religieuses est cependant plus stricte que celle des moines, les femmes incarnant la tentation et étant supposées plus fragiles : ainsi en 1298, le décret pontifical Periculoso érige la stricte clôture des femmes en norme universelle.

Toutefois le contact entre hommes et femmes au sein du monastère ne peut être totalement banni. Converses et servantes sont attestées dans certains monastères cisterciens d’hommes ; et, à l’inverse, un personnel masculin de convers et de chapelains est toléré dans les abbayes féminines du même ordre, qu’un abbé-père doit, en outre, visiter chaque année.

Surtout, les femmes étant exclues du sacerdoce, des prêtres célèbrent les offices et administrent les sacrementSacrement : dans la liturgie chrétienne, signe sacré institué par Jésus et actualisé dans l’Église ; il est par lui-même source de la grâce divine qu’il fait naître ou qu’il augmente. Selon la doctrine catholique, ils sont au nombre de sept : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, onction des malades, ordre et mariage. aux religieuses, ce qui impose quelques précautions. Les statuts de Fontevraud du 12e siècle précisent que si l’abbesse malade veut se confesser, le prêtre ne doit en aucun cas venir à son chevet : on la transporte jusqu’à la chapelle où elle communie, puis on la ramène dans son lit.

Toutefois, ces règlementations n’empêchent pas les contacts illicites (concubines des moines vivant au monastère, ou religieuses enceintes, par exemple).

Les impératifs de clôture engendrent des aménagements spatiaux spécifiques au sein des couvents féminins, afin de séparer les religieuses du personnel masculin à leur service (domestique et liturgique).

Dans l’église fréquentée par les fidèles – hommes et femmes –, les sœurs disposent d’un chœur qui leur est propre, situé dans la nef mais strictement séparé de l’autel, comme dans l’église du prieuré Saint-Louis de Poissy, fondé en 1297, où des religieux dominicains résidents assurent le service divin.

L’église du prieuré Saint-Louis de Poissy
L’église du prieuré Saint-Louis de Poissy est l’espace de contact entre les laïcs et les différents résidents du prieuré. Les dominicains assurent le service religieux autour du maître-autel ; les religieuses s’installent dans un chœur en face du maître-autel, mais isolé du sanctuaire ; les convers s’assoient dans des stalles au revers de la façade. Enfin les fidèles disposent d’une entrée côté rue et assistent ainsi aux offices sans bouleverser la vie monastique.
Source : Plan de l’église après l’incendie de 1695, agence de Jules-Hardouin-Mansart. gallica.bnf.fr /BnF.

Le concile de Trente au 16e siècle réaffirme la stricte clôture des femmes. Le chœur des religieuses, point faible de la clôture puisqu’il les met en contact avec les fidèles, est alors systématiquement installé dans un espace de l'église autonome et caché.

En 1629, le religieux récollet Florent Boulenger dresse la liste des configurations architecturales possibles dans son Traité de la clôture des religieuses : le chœur peut être installé latéralement à la nef (plan en Γ adopté, par exemple, par les visitandines ou les carmélites françaises) ; ou bien le chœur est axial, mais placé alors au revers de l’autel et dissimulé à la vue des fidèles (chez les capucines du faubourg Saint-Honoré à Paris, les cisterciennes de Penthémont ou encore les bénédictines du Calvaire à Redon).

Dans tous les cas, le chœur des religieuses est soustrait au regard par des grilles dotées de voiles, voire des murs. Selon le coutumier des visitandines du 17e siècle, le chœur est séparé de l’église par une grande grille, doublée d’un rideau noir opaque qui empêche toute communication visuelle, sauf au moment de l’élévation de l’hostie et de la prédication : « On rend le chœur obscur en sorte néanmoins que le prédicateur puisse voir que l’on est présent ; que si on ne peut ôter le jour, les sœurs à tout le moins baissent leur voile, si elles sont exposées à la vue des séculiers ».

Couvent des Annonciades célestes de Gênes, 17e siècle
Le chœur des religieuses est séparé de l’église par une grille qui fait face à un autel secondaire. Près du maître-autel, à côté de la grille du chœur, une fenêtre de communion permet aux religieuses de recevoir l’hostie des mains du prêtre.
Source : Croquis d’après le plan du 20 septembre 1685 (Archivio Storico del Comune di Genova, Fondo Padri del Commune, n°160-98) et d’après le projet de rue à tracer à travers le couvent en 1867 (Archivio Storico del Comune di Genova, Fondo Amministrazione Municipale 1860-1910, n°1027-1) © Julie Piront

La « fenêtre de la communion » (ou communicatoire) est un autre aménagement spatial visant à respecter la clôture des femmes. Attesté dès le 12e siècle, mais se généralisant après le concile de Trente au 16e siècle, ce dispositif permet au prêtre de distribuer l’eucharistie aux religieuses sans franchir la clôture : une ouverture en entonnoir, à travers laquelle il passe la main, est aménagée dans la grille, cloison ou mur séparant l’église du chœur des religieuses.

LECTURE
Le salut à portée de fenêtre
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Chœur des carmélites d'Arles vu de la chapelle, 18e siècle
Une grille sépare le chœur des religieuses de l’autel de la chapelle. Les sœurs communient à travers la fenêtre de la communion, située à gauche de la grille. Cette fenêtre grillagée est ornée d’un voile en stuc doré, soulevé par deux angelots.
Source : © Laurent Lecomte
Chœur des carmélites de Lisieux, 20e siècle
Au fond, occultée par un rideau, la grille permettant aux religieuses de voir l’autel. À droite de cette grille, la fenêtre de la communion grillagée et fermée par un panneau de bois. Les sœurs communient à travers celle-ci. Photographies prises par les sœurs, début du 20e siècle.
Source : © Archives du Carmel de Lisieux

Toutefois, la vocation hospitalière et enseignante de certaines religieuses les conduit à sortir de la clôture et à être en contact avec l’autre sexe. Par exemple, au 18e siècle, les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec distribuent les repas et les remèdes aux malades, hommes ou femmes. Mais lorsqu’il s’agit de toucher le corps des hommes malades, pour les dévêtir ou les coucher par exemple, un serviteur se substitue à elles.