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3. Bâtiment des convers

Diversité des reclus

3.4Hommes et femmes en prison

Lors de l’ouverture de la prison de Clairvaux en 1814, le bâtiment des convers accueille 400 détenus, des hommes et femmes vivant sous le même toit, sans toutefois être mélangés. De 1817 à 1858, le bâtiment devient la prison des femmes, les hommes étant enfermés dans la « grande détention », située autour du grand cloître. Dans l’univers carcéral, la séparation des sexes n’implique pourtant pas toujours l’étanchéité des espaces qui leur sont assignés.

Au Moyen Âge, les femmes sont peu mises en prison. Elles ne représentent que 14 % des prisonniers du Châtelet de Paris en 1488-1489, par exemple. Considérées comme des sujets de seconde zone, elles échappent plus facilement à la prison que les hommes. Capturer une femme expose vite au soupçon de vouloir attenter à sa virginité ou à son honneur ; en outre, la torture leur est généralement épargnée en raison de l’interdit qui frappe leur corps. Les femmes jugées hérétiques et les prostituées font cependant exception : situées au plus bas de l’échelle de la perfection chrétienne, certaines, en Italie notamment, sont envoyées en détention dans des monastères où elles doivent s’amender.

Jeanne d’Arc dans sa cellule de prison
Jeanne d’Arc dans sa cellule de prison, sous le regard de deux ecclésiastiques, telle que se l’imagine, d’une manière fort érotisée, le 19e siècle.
Source : Dessin de R. de Moraine, extrait de Lucien Bessières, Panthéon des martyrs de la liberté, Paris, 1848-1850, t. 1. gallica.bnf.fr / BnF
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Jeanne d’Arc violentée dans la geôle
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Bien que, dans les prisons médiévales, les deux sexes doivent en théorie être séparés « pour des raisons de pudeur », comme le précise l’ordonnance royale de 1350 sur la prison de la Tour de Constance à Aigues-Mortes, il arrive qu’hommes et femmes se retrouvent dans la même pièce, notamment dans les petites prisons communales. Le plus souvent cependant, les prisonnières logent dans des pièces ou quartiers spécifiques (la griesche au Châtelet de Paris ou le « quartier des femmes » dans la prison des Stinche de Florence). Il arrive parfois qu’on les installe dans des bâtiments à part, notamment dans les grandes villes du Saint-Empire germanique dont les tours des remparts permettent d’enfermer séparément les deux sexes.

À la fin du Moyen Âge, des formes de traitement spécifique apparaissent. Une prison pour femmes est créée à Bologne en 1328 et selon le juriste du 14e siècle Jean Boutillier, la faiblesse féminine impose un régime carcéral spécial « car fresle chose est de femme » : selon lui, la femme doit bénéficier de la présence d’une compagne de cellule, ne pas être mise aux fers et être gardée « sans tourment de son corps ».

À l’époque moderne, ce principe où hommes et femmes sont placés dans un même lieu, mais séparément, s’applique plus largement. La plupart des grands établissements fermés (TuchthuizenTuchthuizen : établissements d’enfermement fondés à la fin du 16e siècle en Hollande pour endiguer la criminalité sans recourir aux peines capitales traditionnelles. Le premier en est le Rasphuis (« maison de fabrication de copeaux ») ouvert en 1595 à Amsterdam où sont enfermés des hommes, criminels ou marginaux, astreints au travail forcé. L’équivalent féminin de cette institution est le Spinhuis (« maison de filature »), fondé en 1597. Les deux institutions servent de modèle pour de nombreux établissements du même genre dans les autres villes hollandaises. hollandaises, WorkhousesWorkhouse (« maison de travail ») : depuis la fin du 16e siècle, la législation anglaise oblige les paroisses à prendre en charge les pauvres, mendiants, orphelins, vieillards et autres marginaux. Partout dans le royaume apparaissent des établissements, à la fois ateliers et hospices, qui astreignent ces personnes au travail. Au 18e siècle, près de 2000 de workhouses existent en Angleterre et au Pays de Galles. Au 19e siècle, ces institutions locales, souvent de taille modeste, évoluent vers des établissements plus grands, pris en charge par plusieurs communes. anglaises, ZuchthäuserZuchthaus (« maison de discipline ») : dans l’espace germanique s’établissent au 17e siècle, à l’instar des Bridewells anglais et des Tuchthuizen hollandaises, de nouveaux établissements d’enfermement qui internent les populations errantes (mendiants et vagabonds), les petits criminels et autres fauteurs de trouble (prostituées, ivrognes, etc.). Les enfants abandonnés ou internés à la demande de leurs parents ainsi que les malades psychiques et physiques y sont également placés, ce qui inscrit ces institutions dans la tradition des hospices et hôpitaux médiévaux. allemandes) hébergent des reclus des deux sexes, généralement logés dans des pièces et quartiers distincts, voire dans des institutions séparées : ainsi, au 16e siècle, Amsterdam dispose d’une Rasphuisvoir Tuchthuizen : établissements d’enfermement fondés à la fin du 16e siècle en Hollande pour endiguer la criminalité sans recourir aux peines capitales traditionnelles. Le premier en est le Rasphuis (« maison de fabrication de copeaux ») ouvert en 1595 à Amsterdam où sont enfermés des hommes, criminels ou marginaux, astreints au travail forcé. L’équivalent féminin de cette institution est le Spinhuis (« maison de filature »), fondé en 1597. Les deux institutions servent de modèle pour de nombreux établissements du même genre dans les autres villes hollandaises. pour les hommes (1595) et d’une Spinhuisvoir Tuchthuizen : établissements d’enfermement fondés à la fin du 16e siècle en Hollande pour endiguer la criminalité sans recourir aux peines capitales traditionnelles. Le premier en est le Rasphuis (« maison de fabrication de copeaux ») ouvert en 1595 à Amsterdam où sont enfermés des hommes, criminels ou marginaux, astreints au travail forcé. L’équivalent féminin de cette institution est le Spinhuis (« maison de filature »), fondé en 1597. Les deux institutions servent de modèle pour de nombreux établissements du même genre dans les autres villes hollandaises. pour les femmes (1597). L’édit instaurant l’Hôpital général de Paris en 1656 ordonne que « les pauvres mendiants valides et invalides, de l’un et de l’autre sexe, soient enfermés dans un hôpital », mais, dans les faits, les femmes se retrouvent seules à la Salpêtrière. Dans les établissements modernes aux fonctions à la fois pénale, disciplinaire et caritative, le nombre des femmes enfermées s’accroît considérablement : plus de 2000 à Paris en 1666, environ 5000 quelques décennies plus tard, la législation royale condamnant à l’enfermement plus aisément que par le passé les prisonnières de droit commun, les prostituées ou les malades mentales.

Réfectoire de la maison centrale de détention de Haguenau, années 1930
Construit à la fin du 18e siècle, l’hôpital militaire et civil d’Haguenau a été transformé tour à tour en caserne, en dépôt de mendicité et en maison centrale pour femmes (1822-1857).
Source : © Henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP, M-17-029.

Dans nombre établissements, les détenus des deux sexes sont alors surveillés par des gardiens masculins, ce qui entraîne parfois des incidents graves, pouvant aller jusqu’au viol. Un personnel féminin, souvent des religieuses, apparaît à partir du 17e siècle. À Paris, la Salpêtrière est l’un des premiers établissements où des sœurs, placées sous l’autorité d’une supérieure, ont en charge les femmes incarcérées. Au 19e siècle, la séparation des sexes devient primordiale et un personnel pénitentiaire féminin voit le jour. Aux quartiers séparés d’hommes et de femmes, comme à Clairvaux, succèdent progressivement des prisons spécifiquement féminines comme à Montpellier, à Saint-Lazare à Paris ou encore à Haguenau.

Projet d’installation de deux «  hôpitaux  » à Clairvaux, 1828
Installés dans le bâtiment du « petit cloître », correspondant à l’ancienne infirmerie monastique, l’un des hôpitaux est destiné aux hommes (murs en noir), l’autre aux femmes (murs en rouge).
Source : Troyes, ADA 2 Y 20.

Cependant l’univers pénal dans son ensemble devient de plus en plus masculin. Considérées comme sujettes aux passions, mentalement fragiles, faibles et peu menaçantes pour la société, les femmes sont désormais enfermées dans d’autres lieux de l’« archipel carcéral » : l’asile devient ainsi au 19e siècle l’équivalent de ce que fut le monastère médiéval pour certaines femmes déviantes.