Revenir aux chapitres

4. Réfectoire

Vivre – survivre - ressusciter

4.1Du réfectoire des moines à la chapelle des prisonniers

Le réfectoire-chapelle de Clairvaux offre l’exemple le plus remarquable des transformations opérées lorsque l’abbaye devient un espace carcéral au début du 19e siècle.

Construit en 1774, le réfectoire des moines, aux dimensions grandioses (36 mètres sur 15), est situé dans l’aile sud prolongeant le grand cloître. Il donne à l’est sur le grand cloître et à l’ouest sur les cuisines. Pourvu d’une chaire pour prêcher, le réfectoire est richement décoré d’une grande fontaine de marbre, de deux tableaux dont l’un représente la Cène (actuellement placé au-dessus de l’autel), de lambris boisés ornés de médaillons figurant les vertus théologales et cardinales. La salle est largement éclairée sur toute sa longueur par deux niveaux de baies.

Réfectoire et cuisines de l’abbaye de Clairvaux, début 19e siècle
D’après un plan de 1808.
Source : Troyes, ADA 3 H 338.

Lorsque l’abbaye devient prison, la destruction de l’église abbatiale entre 1809 et 1815 conduit l’administration pénitentiaire à chercher un nouveau lieu de culte. Le réfectoire des moines est sans doute choisi en raison de ses grandes dimensions (accueil d’environ 1000 personnes aux offices), sa situation relativement centrale et son décorum.

En septembre 1814, le directeur de la maison centrale déplore l’absence de vases sacrés et d’ornements nécessaires pour célébrer la messe dans l’ancien réfectoire, désormais baptisé « chapelle Saint-Bernard ». Le mois suivant, il émet le vœu de faire réaliser un grand tableau représentant saint Bernard « à la tête de plusieurs religieux occupés au défrichement des terres » (ADA, 27 Y 1). Le préfet de l’Aube refuse le projet en raison de son coût.

À la fin du mois de novembre, la transformation du réfectoire en chapelle est achevée : les lambris sont garnis de barreaux, tandis que les baies du rez-de-chaussée sont occultées par des lambris accordés à ceux existants ; le sol est remblayé sur le tiers ouest de la salle pour accueillir un maître-autel en bois peint imitant le marbre blanc. Son riche décor de colonnes, chapiteaux et baldaquin ornés de dorures témoigne de la volonté de faire de la chapelle un lieu solennel, favorisant la pénitence et la rédemption.

À l’ouest, la chapelle est dotée d’une sacristie et d’une tribune pour les gardiens. La partie centrale comporte un parterre de bancs, tandis qu’à l’est est construite une double tribune sur trois niveaux superposés et occultés par des grilles, formant ainsi six divisions distinctes et séparées pour les prisonniers. Lors de la réception des travaux en 1814, le préfet de l’Aube envisage de placer les 400 condamnés par les tribunaux correctionnelsTribunaux criminels et correctionnels : en vertu du Code pénal de 1791, les infractions sont divisées en crimes et délits ; le Code pénal de 1810 y ajoute les contraventions. À cette hiérarchie des infractions correspondent trois niveaux de peines : peines criminelles (réclusion, travaux forcés, déportation, peine de mort), correctionnelles (emprisonnement jusqu’à cinq ans) et de police (amendes ou emprisonnement jusqu’à cinq jours). Les crimes sont jugés par des tribunaux criminels, les délits par les tribunaux de police correctionnelle. La loi du 20 avril 1810 sur l’organisation des tribunaux transforme les tribunaux criminels en cours d’assises. Dans les maisons centrales, les condamnés par tribunaux criminels et les condamnés par voie de police correctionnelle doivent être séparés. au rez-de-chaussée et 600 détenus criminelsDétenus criminels : en vertu du Code pénal de 1791, les infractions sont divisées en crimes et délits ; le Code pénal de 1810 y ajoute les contraventions. À cette hiérarchie des infractions correspondent trois niveaux de peines : peines criminelles (réclusion, travaux forcés, déportation, peine de mort), correctionnelles (emprisonnement jusqu’à cinq ans) et de police (amendes ou emprisonnement jusqu’à cinq jours). Les crimes sont jugés par des tribunaux criminels, les délits par les tribunaux de police correctionnelle. La loi du 20 avril 1810 sur l’organisation des tribunaux transforme les tribunaux criminels en cours d’assises. Dans les maisons centrales, les condamnés par tribunaux criminels et les condamnés par voie de police correctionnelle doivent être séparés. dans les tribunes.

La chapelle est commune aux deux sexes, qui y entendent les offices en même temps : la moitié des tribunes est réservée aux femmes « criminelles », l’autre moitié accueillant les hommes « criminels ». Au rez-de-chaussée, femmes et hommes « correctionnels » sont disposés de part et d’autre d’une séparation.

En 1825, un quatrième étage de tribune est ajouté à l’est, avec accès direct depuis les combles transformés en dortoirs.

Le réfectoire-chapelle restauré, partie ouest
Les tribunes des détenus ne sont plus visibles, mais on peut observer les traces d’arrachement sur trois niveaux.

Vers 1950, la sacristie et la tribune des gardiens à l’ouest sont supprimées et l’autel est reculé pour être adossé au mur occidental, dans sa disposition actuelle. Les tribunes des détenus, quant à elles, sont détruites entre 1983 et 1996.

Lors des travaux de restauration du réfectoire-chapelle entre 2013 et 2015, le choix a été fait de conserver des éléments de la période carcérale : l’autel, les occultations des baies et, sur le mur ouest, les ouvertures de portes et les traces d’arrachement des tribunes sur trois niveaux.