Revenir aux chapitres

4. Réfectoire

Vivre – survivre - ressusciter

4.3Le monastère, une maisonnée

Le réfectoire de l’abbaye de Clairvaux est le lieu dans lequel les religieux se restaurent, ce qui suppose qu’ils s’approvisionnent à cet effet. Dès le haut Moyen Âge, les règles monastiques prévoient d’assurer l’autonomie des monastères en rassemblant les fonctions de production, de stockage et de transformation au sein de la clôture. Les monastères forment ainsi une maisonnée, ce qui suppose aussi une certaine organisation spatiale.
Carte postale de Clairvaux (début du 20e siècle)
La légende figurant au bas de la carte postale précise que l’« enceinte, de deux kilomètres de tour, comprenait, outre les bâtiments conventuels, plusieurs églises, d’immenses celliers […] un pressoir banal, une boulangerie, un four à chaux, une scierie hydraulique, des moulins, une tannerie ».
Source : Troyes, ADA 8 FI 7929.

Lieu d’une vie religieuse intense, le monastère est aussi un centre économique de première importance qui subvient aux besoins de la communauté, parfois nombreuse, qu’il abrite. Sa taille varie fortement, y compris dans le temps, de quelques moines à plusieurs centaines : 300 moines à Saint-Vincent-au-Volturne, en Italie, vers 850 ; probablement 200 à Clairvaux en 1135 ; 32 au prieuré de Saint-Victor de Marseille vers 1300. Or, d’après la règle de Benoît (chapitre 66), le monastère, coupé de la société environnante par la clôture, « doit être, si possible, construit de telle façon que l’on y trouve tout le nécessaire, c’est-à-dire l’eau, le moulin, le jardin et qu’on puisse y pratiquer les divers métiers à l’intérieur du monastère, de sorte que les moines ne soient pas obligés de courir au dehors de tous les côtés, ce qui n’est pas bon du tout pour leurs âmes ». Le monastère est ainsi une maisonnée qui doit s’approvisionner, stocker, transformer et répartir ses ressources entre ses membres.

L’abbaye de Villeloin, 17e siècle
Outre les bâtiments dévolus à la vie des moines, sont figurés la boulangerie, les granges, le cellier, le pressoir, le colombier…
Source : Planche gravée extraite de la collection Monasticon Gallicanum, 1694. Wikimedia Commons.

Les denrées proviennent de ses divers domaines et possessions, acquis par donation ou achat au fil du temps, et parfois des aumônes reçues. En dépit du vœu de pauvreté personnelle des moines et religieuses, certains monastères sont de vastes et riches exploitations rurales, moins sensibles que les petits prieurés à la conjoncture économique et militaire. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés posséderait plus de 50 000 ha de terres, d’après le polyptyque de l’abbé Irminon du 9e siècle.

Dans la règle bénédictine, l’abbé exerce un pouvoir économique : il doit faire respecter le principe de désappropriation personnelle (renoncement de chaque religieux à ses biens propres) et moduler la règle en fonction des besoins de chacun, notamment alimentaires et vestimentaires. D’autres moines peuvent le suppléer dans ces fonctions économiques : le cellérier est chargé de l’approvisionnement en denrées alimentaires, de l’organisation des repas, de la confection des habits, de l’entretien des bâtiments, des distributions d’aumônes et, par extension, des finances d’un monastère.

Un cellérier buvant du vin
Le cellérier, pourvu de clés, buvant du vin tiré d’un tonneau, fin du 13e siècle
Source : Londres, British Library, Sloane 2435, f. 44v.

La responsabilité du supérieur est engagée dans la gestion et il doit se montrer attentif aux équilibres internes, notamment au nombre de religieux. En 1289, les moniales d’Huy (Belgique) se plaignent ainsi d’être sept de plus (32) que le nombre institué par l’abbé (25), ce qui explique, selon elles, l’endettement de leur monastère.

Un monastère est ainsi une maisonnée dotée d’une vie économique et sociale propre qui s’inscrit dans l’espace. Au 8e siècle, des bâtiments aux fonctions bien définies remplacent progressivement des pièces auparavant plus polyvalentes.

Le plan de Saint-Gall, confectionné au 9e siècle dans l’abbaye de Reichenau, ne figure ni un monastère réel ni un monastère idéal, mais plutôt la logique d’organisation de l’espace monastique carolingien. Il représente les 45 bâtiments d’un complexe monastique, accompagnés d’une légende identifiant les fonctions et parfois la signification des différents édifices représentés. Ce plan articule fonctions et lieux qui paraissent nécessaires au sein d’un grand monastère carolingien : certains sont indispensables à la dévotion et à la vie commune des moines ; d’autres sont destinés aux novices et aux frères malades, mais aussi aux hôtes ; d’autres encore sont liés aux activités de production, d’artisanat et de stockage.

Plan de Saint-Gall, 9e siècle
Les 45 bâtiments monastiques sont dessinés en rouge, les légendes en noir identifiant leur fonction : au centre, l’église monumentale de plus de 100 m de long ; sur son flanc, le cloître et les bâtiments communautaires monastiques ; au nord, le « complexe médical » et le quartier des novices ; à l’ouest, le logis de l’abbé, l’école et le bâtiment accueillant les hôtes de marque ; à l’est, les lieux de production, d’artisanat et de stockage (grenier, brasserie, boulangerie…).
Source : St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 1092, f. verso – St. Galler Klosterplan.

Les monastères comportent donc non seulement des bâtiments cultuels (église, sacristie) et communautaires (dortoir, réfectoire, salle du chapitreSalle capitulaire (ou salle du chapitre) : dans une abbaye, lieu où se réunit quotidiennement la communauté religieuse.), cloître), mais aussi utilitaires (granges, moulins, pressoirs etc.). Ces derniers constituent souvent un vaste ensemble plus ou moins autonome à l’intérieur de l’espace monastique, du moins dans le cas des monastères ruraux. À Saint-Leu d’Esserent (Oise), prieuré clunisien fondé vers 1080, la ferme, sa cour avec le colombier et les jardins représentent 50 % de la superficie de l’enclos monastique et les bâtiments conventuels seulement 20 %.

Les bâtiments d’usage quotidien (cellier, pressoir, bûcher, ateliers etc.) sont toujours situés dans l’enclos, à proximité des bâtiments conventuels. Les bâtiments et équipements à vocation agricole, comme les granges, jardins et viviers, sont en partie insérés dans l’enclos, mais séparés des bâtiments conventuels et complétés par des annexes extérieures à celui-ci.

Cette disposition varie toutefois en fonction de la richesse des monastères et de leur localisation : les grands monastères possèdent des bâtiments agricoles sur leurs domaines éloignés et les monastères implantés en ville adaptent la disposition des bâtiments aux contraintes de la densité urbaine.