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5. Église

Détruire - (re)construire

5.1L’église dans le monastère

À Clairvaux, l’église abbatiale, cœur sacré de l’abbaye, n’existe plus. Elle a été totalement détruite entre 1809 et 1815, au moment où sont entrepris les travaux pour accueillir les détenus dans la maison centrale de détention.

Dans un monastère, l’église est le lieu d’échange privilégié entre les hommes et Dieu, où l’on célèbre la mort sacrificielle du Christ (eucharistieEucharistie : dans la religion catholique, sacrement contenant le corps, le sang et la divinité du Christ au terme de la transsubstantiation du pain et du vin qui renouvelle rituellement en action de grâce le sacrifice du Christ et qui constitue la nourriture des fidèles et le symbole de leur unité.) et où les offices rythment la vie des moines. Cependant, l’église ne devient que progressivement le pôle de sacralité autour duquel s’organisent les autres bâtiments monastiques. Durant le haut Moyen Âge, en effet, les monastères ont souvent compté plusieurs lieux de culte, avant que ne s’impose un sanctuaire unique, pourvu de chapelles.

Moines et religieuses dans l’église
Le chœur des moines est situé à proximité de l’autel, tandis que, dans les monastères féminins, le chœur des religieuses est séparé de l’autel par la clôture. Psautier du 15e siècle.
Source : Londres, British Library, Cotton MS Domitian A XVII, f. 122v et 74v.

La fonction première des moines est de prier jour et nuit pour les vivants et les morts. Ils se rendent à l’église au moins sept fois par jour (matines, laudes, tierce, sexte, none, vêpres, complies), et pour la messe quotidienne. Ils prennent place à proximité de l’autel dans le chœur, où sont disposées des stallesStalles : sièges réservés aux religieux dans le chœur de l’église, attribués, en théorie, en fonction du rang de chacun dans la communauté.. Les religieuses étant quant à elles exclues du sacerdoce et soumises à une clôture plus stricte que les moines, l’aménagement spatial des églises dans leurs monastères diffère quelque peu : les nonnes occupent un chœur séparé de l’autel par des divers procédés.

Chœur des religieuses de Port-Royal des Champs
Situé dans la nef de l’église abbatiale, le chœur est séparé de l’autel par la grille de la clôture. La communauté s’y réunit plusieurs fois par jour pour la messe et les offices divins, pour certains actes rituels (communion, adoration du saint sacrement) ou pour les cérémonies extraordinaires (profession d’une nouvelle religieuse, par exemple).
Source : Gouache du 18e siècle d’après une estampe de Madeleine Horthemels (1686-1767). Magny-les-Hameaux, Musée national de Port-Royal des Champs © RMN-Grand Palais

Tandis que le chœur de l'église est réservé aux religieux, la nef est accessible aux laïcs, séparés des religieux par des dispositifs variés (murets, grilles, panneaux de bois, jubé c’est-à-dire tribune séparant le chœur de la nef), qu’il n’est possible de franchir qu’en certaines circonstances. Avec le développement du culte pour les morts, les puissants laïcs se font néanmoins enterrer au plus près de l’autel et du chœur où les prières des religieux sont considérées comme plus efficaces. Cependant, certains ordres religieux (cisterciens, chartreux) nés aux 11e-12e siècles tentent de fermer leurs églises aux laïcs

C’est dans l’église que se concentre la richesse du monastère (décor, objets et livres liturgiques), laquelle suscite des critiques à partir des 11e-12e siècles : Bernard de Clairvaux dénonce ainsi les églises monastiques surdimensionnées et leur décor trop luxueux, infraction au vœu de pauvreté et source de distraction pour les moines.

Qu’il soit exubérant ou sobre, le décor monumental de l’église tient un rôle central dans l’espace liturgique : servant à instruire la communauté, le décor est également un support à la méditation. Il définit, par les thèmes iconographiques développés, des zones spécifiques au sein de l’église. Sur la façade et les portes, qui symbolisent le passage d’un lieu terrestre vers un espace céleste, le décor est souvent consacré au Jugement dernier et à l’enfer, comme par exemple à Sainte-Foy de Conques.

Il est toutefois difficile aujourd’hui d’imaginer l’aspect de ces églises : la plupart du temps, décors peints et sculptures ont perdu leurs couleurs, ont été dispersés dans des musées au même titre que les objets liturgiques, quand ils n’ont pas simplement disparu.

Tympan de l’abbaye de Sainte-Foy de Conques
Tympan de l’abbaye représentant le Jugement dernier, 12e siècle.

Lieu sacré du monastère vers lequel les moines convergent plusieurs fois par jour, l’église en polarise l’espace et sacralise, par capillarité, les bâtiments qui la jouxtent, comme la salle capitulaireSalle capitulaire (ou salle du chapitre) : dans une abbaye, lieu où se réunit quotidiennement la communauté religieuse. ou le cloître.

À Clairvaux, l’église abbatiale était située, depuis le 12e siècle, dans l’aile nord du cloître médiéval. Longue de 106 mètres et large de 54 mètres dans le transept, elle comportait trois nefs, un transept pourvu de chapelles et une abside semi-circulaire, elle aussi entourée de chapelles. Accueillant le tombeau de Bernard de Clairvaux, l’église est, avec le bâtiment des convers, l’un des rares bâtiments médiévaux de l’enclos monastique conservés lors des travaux effectués par les moines du 18e siècle.