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5. Église

Détruire - (re)construire

5.3Destructions et réaménagements

En France, à la suite de la Révolution, nombre de monastères sont démolis ou affectés à d’autres usages après leur transformation en biens nationaux et leur vente aux enchères. Ces destructions et réaménagements ont suscité discussions et débats. Ainsi, à Clairvaux, la vaste église abbatiale, édifiée dans la seconde moitié du 12e siècle, est encore en place en 1808 mais six ans plus tard, il n’en reste plus rien.
Plan de Clairvaux et de son église avant destruction, 1808
Source : Troyes, ADA 3 H 338.

Lorsque l’État décide d’établir une maison centrale de détention à Clairvaux, deux projets concurrents se dessinent quant au sort de l’église : l’un vise à la conserver et à la transformer en tenant compte de son riche passé ; l’autre entend la détruire et remployer ses matériaux. Le directeur de l’établissement ouvert en 1809 ordonne d’utiliser le bois de la charpente de l’église pour fabriquer des métiers à tisser, destinés à mettre au travail les mendiants. Les pierres du chœur servent à l’aménagement du dépôt de mendicité lui-même et du mur du cimetière. 743 m³ de pierre ainsi que le fer des vitraux sont ainsi récupérés.

En 1812, le ministre de l’Intérieur dénonce l’action de l’architecte qui a démoli l’église alors que le Conseil des bâtiments civils avait prévu de la conserver et d’y aménager deux étages d’ateliers... Le portail de l’église est provisoirement sauvé, mais il est bientôt sacrifié lui aussi aux besoins de l’établissement carcéral.

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Sauver le portail de l’église à Clairvaux ?
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Dans les mêmes années, le sort de l’église de Fontevraud est très différent. En 1791-1792, moines et religieuses évacuent l’abbaye et il est prévu que l’ancienne église abbatiale devienne une église paroissiale. Cependant le site est très vite pillé : fers, serrures, portes, volets, carreaux, ardoises, marbres, plomb sont emportés. En 1794, une partie du site est louée à un salpêtrier dont l’activité affaiblit la structure de certains bâtiments.

La transformation de l’abbaye en maison de détention commence en 1806 : l’église est conservée, son chœur et son transept servant de chapelle aux prisonniers et aux employés.

En 1817, Fontevraud devient une maison de force et de correction pour 19 départements : le site nécessite de nouveaux aménagements pour accueillir des prisonniers plus nombreux. Entre 1821 et 1825, le volume de la nef de l’église est donc utilisé au maximum : trois niveaux y sont créés grâce à l’installation de planchers ; des ateliers sont installés dans les combles et les coupoles du toit sont rasées ; enfin on éventre les baies romanes de la façade nord.

Cependant, à partir de 1903, un projet de restauration voit le jour alors que le site de Fontevraud a toujours une fonction carcérale : la restauration de la nef est lancée, les planchers sont supprimés, les coupoles rétablies et les façades latérales restituées. À partir de 1963, l’administration pénitentiaire libère le site, tout en y maintenant un petit groupe de prisonniers dans le quartier dit de « la Madeleine » qui œuvrent jusqu’en 1985 à la destruction des traces du passé carcéral.

L’église de Fontevraud
L’église de Fontevraud, restaurée après la fermeture partielle de la prison en 1963.
Source : Wikimedia Commons.

D’une façon générale, les églises des abbayes transformées en prisons au 19e siècle ont fait l’objet de profonds réaménagements. Celle du Mont-Saint-Michel, prison à partir de 1798 pour détenus politiques (jusqu’en 1844) et de droit commun des deux sexes (jusqu’en 1863), voit, elle aussi, sa nef divisée en deux étages servant de dortoirs et son chœur accueillir divers ateliers de filature, de tissage et de fabrication de chapeaux. 700 à 1000 détenus travaillent en divers lieux de l’abbaye, dans de rudes conditions.

Salle des chevaliers du Mont Saint-Michel, 19e siècle siècle
La lithographie, datée de 1842, évoque, avec un certain pittoresque, l’un des ateliers de la prison placés dans l’ancienne « salle des chevaliers ». On y distingue des instruments et métiers à filer et à tisser.
Source : Dessin de Charles Séchan, lithographie de Eugène Cicéri, extraits de Charles Nodier, Justin Taylor, Alphonse de Cailleux, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, tome 3, Paris, 1878. gallica.bnf.fr / BnF.

De ces réaménagements résulte une coexistence d’éléments monastiques et carcéraux qui suscite chez les visiteurs de ces lieux un sentiment d’étrangeté éprouvé par Victor Hugo lorsqu’il visite le Mont-Saint-Michel. Au cours de son périple dans la Manche, il décrit le contraste entre la beauté du site et sa sinistre destination en 1836.

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Victor Hugo au Mont-Saint-Michel
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