Lorsque l’État décide d’établir une maison centrale de détention à Clairvaux, deux projets concurrents se dessinent quant au sort de l’église : l’un vise à la conserver et à la transformer en tenant compte de son riche passé ; l’autre entend la détruire et remployer ses matériaux. Le directeur de l’établissement ouvert en 1809 ordonne d’utiliser le bois de la charpente de l’église pour fabriquer des métiers à tisser, destinés à mettre au travail les mendiants. Les pierres du chœur servent à l’aménagement du dépôt de mendicité lui-même et du mur du cimetière. 743 m³ de pierre ainsi que le fer des vitraux sont ainsi récupérés.
En 1812, le ministre de l’Intérieur dénonce l’action de l’architecte qui a démoli l’église alors que le Conseil des bâtiments civils avait prévu de la conserver et d’y aménager deux étages d’ateliers... Le portail de l’église est provisoirement sauvé, mais il est bientôt sacrifié lui aussi aux besoins de l’établissement carcéral.
Dans les mêmes années, le sort de l’église de Fontevraud est très différent. En 1791-1792, moines et religieuses évacuent l’abbaye et il est prévu que l’ancienne église abbatiale devienne une église paroissiale. Cependant le site est très vite pillé : fers, serrures, portes, volets, carreaux, ardoises, marbres, plomb sont emportés. En 1794, une partie du site est louée à un salpêtrier dont l’activité affaiblit la structure de certains bâtiments.
La transformation de l’abbaye en maison de détention commence en 1806 : l’église est conservée, son chœur et son transept servant de chapelle aux prisonniers et aux employés.
En 1817, Fontevraud devient une maison de force et de correction pour 19 départements : le site nécessite de nouveaux aménagements pour accueillir des prisonniers plus nombreux. Entre 1821 et 1825, le volume de la nef de l’église est donc utilisé au maximum : trois niveaux y sont créés grâce à l’installation de planchers ; des ateliers sont installés dans les combles et les coupoles du toit sont rasées ; enfin on éventre les baies romanes de la façade nord.
Cependant, à partir de 1903, un projet de restauration voit le jour alors que le site de Fontevraud a toujours une fonction carcérale : la restauration de la nef est lancée, les planchers sont supprimés, les coupoles rétablies et les façades latérales restituées. À partir de 1963, l’administration pénitentiaire libère le site, tout en y maintenant un petit groupe de prisonniers dans le quartier dit de « la Madeleine » qui œuvrent jusqu’en 1985 à la destruction des traces du passé carcéral.
D’une façon générale, les églises des abbayes transformées en prisons au 19e siècle ont fait l’objet de profonds réaménagements. Celle du Mont-Saint-Michel, prison à partir de 1798 pour détenus politiques (jusqu’en 1844) et de droit commun des deux sexes (jusqu’en 1863), voit, elle aussi, sa nef divisée en deux étages servant de dortoirs et son chœur accueillir divers ateliers de filature, de tissage et de fabrication de chapeaux. 700 à 1000 détenus travaillent en divers lieux de l’abbaye, dans de rudes conditions.
De ces réaménagements résulte une coexistence d’éléments monastiques et carcéraux qui suscite chez les visiteurs de ces lieux un sentiment d’étrangeté éprouvé par Victor Hugo lorsqu’il visite le Mont-Saint-Michel. Au cours de son périple dans la Manche, il décrit le contraste entre la beauté du site et sa sinistre destination en 1836.