La cellule est une invention du monachisme. Les premiers moines d’Égypte et de Syrie adoptent la cellule individuelle, symbole de leur vie de solitude. Si elle les préserve du monde, elle peut aussi être propice au péché. Lorsque les pratiques d’ascèse et de prière se diffusent en Europe, elles se développent donc dans un cadre de plus en plus communautaire : le dortoir s’impose progressivement face à la cellule dans les monastères des 6e-7e siècles.
Symbole de la vie commune, il garantit également une surveillance mutuelle et constante. D’après la règle du Maître, chaque moine dort tout habillé dans son lit. Cet usage, s’il permet au religieux d’être constamment prêt pour la prière, est également censé empêcher la masturbation. Le dortoir permet aussi de contrôler que les religieux, astreints à la pauvreté, ne possèdent rien en propre : la règle des moines de Césaire d’Arles interdit ainsi de posséder une « cellule particulière, une armoire ou quoi que ce soit qui ferme à clé ».
Aux 11e-12e siècles, alors que la vie monastique connaît un certain renouveau, les chartreux font le choix de la cellule individuelle dans laquelle le moine-ermite prie, mange, travaille et dort. En revanche, d’autres ordres religieux (Cîteaux, Cluny) réaffirment le principe du dortoir commun. Généralement situé à l’étage, le dortoir est souvent relié directement à l’église, afin de faciliter la célébration des offices nocturnes.
Certains ordres religieux autorisent toutefois les abbés à disposer d’une chambre, voire d’un logis séparé. Ainsi à Marmoutier, alors que les bâtiments communautaires se trouvent sur les bords de Loire, le logis de l’abbé est construit, au 14e siècle, sur le plateau de Rougemont : une galerie permet à l’abbé de rejoindre l’église en contrebas.
À la fin du Moyen Âge, les chambres individuelles – parfois installées à l’intérieur même du dortoir et fermées de portes à verrous – remplacent progressivement le dortoir commun. Plus difficile à surveiller, elles sont régulièrement dénoncées par les autorités ecclésiastiques. L’idéal de vie communautaire est mis à mal par l’aspiration des religieux à jouir d’un espace propre de dévotion, de méditation, de lecture et d’étude.
Au 15e siècle, le coutumier de Subiaco, en Italie, tente de concilier ces deux tendances : la division du dortoir en cellules est interdite, mais l’installation de panneaux de bois entre les lits est autorisée. Les bénédictins de Kastl, en Bavière, autorisent quant à eux les cellules fermant à clé, mais le prieur dispose d’un double et des grilles permettent de scruter l’intérieur. Au 16e siècle, le dortoir du monastère cistercien de Bebenhausen, dans le Wurtemberg, est divisé en cellules ornées par les religieux de peintures et d’inscriptions sur les valeurs monastiques. De semblables inscriptions surmontent les portes des cellules des religieuses de Port-Royal-des-Champs au 17e siècle.
Au 18e siècle, à la suite de la restauration de nombreuses abbayes, les moines disposent d’agréables chambres, comme à Clairvaux ou à Saint-Marien d’Auxerre, où elles comprennent une cheminée, une alcôve encadrée par une garde-robe et un cabinet.
Le choix entre dortoir collectif et cellule individuelle varie également en fonction du type de communauté ou d’ordre religieux ainsi que du niveau social des religieux. Dans l’abbaye féminine de La Trinité de Poitiers au 18e siècle, les moniales disposent de cellules confortables de 12 m² alors que les sœurs conversesConvers, converse : ils ou elles sont chargés de seconder les moines de chœur et les religieuses qui leur confient les travaux les plus pénibles. Chez les cisterciens ou les chartreux, les convers sont des religieux qui ont un habit différent des moines et des devoirs liturgiques propres. Ils vivent soit dans les exploitations du monastère (appelées « granges »), soit dans des quartiers séparés de ceux des moines, éloignés du cloître mais situés à l’intérieur de la clôture. dorment en dortoir dans des lits collectifs. Dans les monastères féminins des péninsules italienne ou ibérique, il existe également des cellules dites « familiales ». À Ciudad Rodrigo, près de Salamanque, à la fin du 16e siècle, les femmes d’une même fratrie devenues religieuses logent ensemble avec leurs jeunes nièces qui, à l’âge adulte, se marieront ou entreront en religion. On le voit, l’histoire de ces espaces dévolus au repos est loin d’être linéaire : cellules, dortoirs et même cellules familiales ont alternativement été utilisés.