et la prison (19e-20e siècles)
Devise : « Qu’il règne mon Jésus. Je suis sa captive et ne veux pas d’autre liberté ! ».
Source : Chalon, Association Trésors de ferveur, Thierry Pinette.
Solitude monastique et isolement carcéral peuvent se traduire par la réclusion dans une cellule, perçue comme propice à la méditation du moine et à l’amendement du détenu. Le monachisme fait de la fuite du monde corrompu et corrupteur l’un de ses principes fondateurs. La cellule crée une solitude à l’intérieur de la communauté et favorise le dialogue avec Dieu : « Des orages de la vie, j’entends le bruit sans frayeur et ma cellule chérie est le temple du bonheur », proclame une sentence inscrite dans une « cellule de nonne », ces petites boîtes confectionnées aux 18e-20e siècles par des religieuses après leur prise du voile, représentant leur cellule et offertes à leur famille. La cellule peut également être le lieu de lecture et de travaux manuels. Les chartreux, qui font le choix d’un encellulement radical, dorment, cuisinent, travaillent et méditent dans leur cellule.
En prison, l’enfermement cellulaire, qui se développe au début du 19e siècle, renoue avec cette dimension religieuse, en faisant de la cellule l’un des lieux possibles de rachat du prisonnier. Ainsi, lorsqu’Henri Manuel parcourt, entre 1929 et 1931, les prisons françaises pour le ministère de la Justice, il photographie les prisonniers en train de prier, de travailler, de lire ou de dormir dans des cellules baignées d’une lumière rédemptrice.
La nuit, la cellule carcérale apparaît comme plus propice que le dortoir à protéger le prisonnier des agressions des autres détenus. Enfin, dans des univers qui ne connaissent guère de formes d’individualisation, moines et détenus peuvent tenter de s’approprier les murs de leur cellule.
Néanmoins, la cellule monastique comme carcérale présente le désavantage de laisser les reclus seuls face à leurs démons. Pour cette raison, les règles monastiques considèrent souvent qu’elle ne convient qu’aux religieux les plus parfaits, capables d’affronter les tentations, voire le désespoir. À la fin du 17e siècle, Mabillon souligne encore l’excès de tristesse engendré par l’enfermement en cellule chez le moine délinquant, pourtant habitué à la vie claustrale.
En prison, l’isolement cellulaire des prisonniers suscite le même genre de critiques. Ainsi, en 1837, le directeur de la maison centrale de Clairvaux écrit qu’« il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il n’est pas bon surtout que le méchant soit seul car de quoi peut vivre sa pensée dans la solitude si ce n’est de ses souvenirs, pâture irritante et mauvaise. La solitude est une souffrance grave qui torture les esprits même les plus vigoureux » (ADA 4 Y 3).
Le dortoir apparaît comme un remède à cette solitude néfaste. Dans le monastère, il vise autant à satisfaire l’exigence de vie commune qu’à instaurer un contrôle mutuel. En prison, les dortoirs servent surtout à surveiller les comportements, comme l’indique le directeur de Clairvaux en 1834 : « Dans les grands dortoirs, il est impossible qu’un commerce immoral entre tel ou tel prisonnier existe longtemps sans être connu. Aussitôt qu’il est connu, il est dénoncé et plus d’une fois même on a vu les délinquants empêchés dans la consommation de leur infamie et vigoureusement cognés par leurs camarades. Dans les petits dortoirs, au contraire, la majorité peut être corrompue ou intimidée » (ADA, 4 Y 3).
Pourtant, les dortoirs ne sont pas exempts d’inconvénients. Dans les monastères, le dortoir est un lieu relativement isolé, propice aux activités illicites : les religieux peuvent y boire, s’y réunir sans permission voire y conduire des femmes... C’est également là que se trouve le lit, seul espace affecté en propre à chaque religieux, près duquel il peut cacher divers objets (argent, nourriture, armes).
En prison, quoiqu’en dise le directeur de Clairvaux en 1834, les dortoirs sont un espace de promiscuité et de sévices où règne la loi du plus fort. Par ailleurs, pour isoler et punir moines ou détenus récalcitrants ou criminels, la cellule demeure le seul moyen jugé efficace pour qu’ils ne contaminent pas le reste de la communauté. L’oscillation entre solitude et communauté apparaît ainsi comme une tension permanente propre aux espaces d’enfermement.