Dans un monastère, la communauté des religieux est strictement hiérarchisée, les différents groupes (novices, moines, voire convers) se voyant assignés des espaces distincts.
Dans les lieux d’enfermement punitif, la question de la séparation des populations revêt d’autres enjeux et se pose avec une acuité plus grande à partir du 18e siècle. En effet, l’une des grandes obsessions du siècle des Lumières – dont témoigne l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, par exemple – est la classification des phénomènes naturels et sociaux.
Dans le domaine pénal, la volonté de classer et de séparer s’explique par la peur de la contamination morale, fruit de la promiscuité des lieux d’enfermement sous l’Ancien régime. Heinrich Balthasar Wagnitz dénonce ainsi le fait que « les pauvres orphelins, qui n’ont pas péché », sont mélangés aux pires criminels, de sorte que « celui qui est libéré de l’institution comme enfant orphelin la regagne plus tard en tant que détenu ». La cohabitation entre orphelins, petits criminels et grands bandits transforme inévitablement, pense-t-on, l’enfant innocent ou le délinquant inexpérimenté en criminel professionnel, le même raisonnement valant pour les asiles et hôpitaux où l’on redoute la contagion entre malades.
Ces réflexions se poursuivent au 19e siècle, lorsque la prison devient le moyen de punition généralisé. En classant et séparant les détenus, il s’agit d’éviter que la prison ne devienne une « académie du vice » ou une « école du crime », pour reprendre les expressions des contemporains ; et d’établir des régimes pénitentiaires différenciés, correspondant à la gravité des actes commis. Ainsi, un rapport sur la maison centrale d’Eysses de 1810 dénonce le fait que « l’individu puni correctionnellement, l’homme qui n’a à se reprocher qu’une faute légère […] se trouvent confondus et punis autant que le criminel qui a ravi les biens de son semblable » (AN F 16/332).
La science pénitentiaire produit alors des systèmes classificatoires parfois complexes. En Angleterre, on compte jusqu’à une dizaine de classes différentes de détenus. Dans un premier temps, on sépare les criminels des malades, les orphelins des mendiants, les hommes des femmes, en prévoyant pour chaque groupe des institutions particulières ou, du moins, des quartiers séparés.
Très vite, le nombre de critères augmente : sont pris en compte délit, nature et mobile du crime ou encore dangerosité présumée. Les catégories statiques (distinguant, par exemple, les auteurs de petits larcins des grands criminels) sont complétées, voire remplacées par des catégories dynamiques : âge, moralité, comportement en prison, capacité à travailler, degré d’amendement, etc. Les plus dociles bénéficient de mesures d’encouragement (une meilleure nourriture et quelques libertés), et les récalcitrants sont sanctionnés. La classification des détenus se traduit en outre par la ségrégation spatiale de ceux-ci.
Cependant ces systèmes de classification peinent à rendre compte de l’infinie complexité de la nature humaine. Par conséquent, dans les années 1840, chaque détenu devient une classe à part, qui se voit attribuer, en théorie, un espace individuel : la cellule.
Classification et séparation des détenus impliquent ainsi de nombreux aménagements spatiaux. À Clairvaux, l’espace enclos de l’abbaye est réutilisé en adéquation avec les nouvelles exigences pénitentiaires, non sans difficultés.
En 1814,on ouvre un quartier pour des condamnés par voie de police correctionnellevoir Tribunaux criminels et correctionnels : en vertu du Code pénal de 1791, les infractions sont divisées en crimes et délits ; le Code pénal de 1810 y ajoute les contraventions. À cette hiérarchie des infractions correspondent trois niveaux de peines : peines criminelles (réclusion, travaux forcés, déportation, peine de mort), correctionnelles (emprisonnement jusqu’à cinq ans) et de police (amendes ou emprisonnement jusqu’à cinq jours). Les crimes sont jugés par des tribunaux criminels, les délits par les tribunaux de police correctionnelle. La loi du 20 avril 1810 sur l’organisation des tribunaux transforme les tribunaux criminels en cours d’assises. Dans les maisons centrales, les condamnés par tribunaux criminels et les condamnés par voie de police correctionnelle doivent être séparés. dans l’ancien bâtiment des convers, deux étages permettant de séparer hommes et femmes. Les travaux d’aménagement étant ralentis par les guerres napoléoniennes et des problèmes financiers, la « grande détention » destinée aux condamnés des tribunaux criminels Tribunaux criminels et correctionnels : en vertu du Code pénal de 1791, les infractions sont divisées en crimes et délits ; le Code pénal de 1810 y ajoute les contraventions. À cette hiérarchie des infractions correspondent trois niveaux de peines : peines criminelles (réclusion, travaux forcés, déportation, peine de mort), correctionnelles (emprisonnement jusqu’à cinq ans) et de police (amendes ou emprisonnement jusqu’à cinq jours). Les crimes sont jugés par des tribunaux criminels, les délits par les tribunaux de police correctionnelle. La loi du 20 avril 1810 sur l’organisation des tribunaux transforme les tribunaux criminels en cours d’assises. Dans les maisons centrales, les condamnés par tribunaux criminels et les condamnés par voie de police correctionnelle doivent être séparés. n’ouvre qu’en 1817 dans l’ancien grand cloître. Les détenus y sont logés dans des quartiers séparés selon qu’ils sont « criminels » ou « correctionnels », bien qu’une partie d’entre eux continue à être affectée ensemble dans les mêmes ateliers de travail. Le bâtiment des convers devient alors « prison des femmes » jusqu’au transfert des prisonnières à Auberive, en 1858. Enfin, les jeunes condamnés de moins de 16 ans, auparavant enfermés avec les hommes, sont installés dans les anciennes écuries de l’abbaye.
En dépit des contraintes matérielles et financières, le principe de séparation est appliqué jusque dans l’organisation du quotidien (répartition des dortoirs en sections et quartiers, placement en rang dans le réfectoire ou la chapelle, etc.). Les détenus eux-mêmes s’approprient ce principe, par exemple en délimitant à la craie l’espace de la table du réfectoire qui leur est réservé. Ils tentent ainsi de reconquérir un tant soit peu un espace individuel dans une institution qui n’en ménage guère.