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6. Dortoir

Séparer - discriminer

6.5 Cages à poules

Les « cages à poules », cellules d’enfermement individuel en bois disposées en rangées, constituent un point marquant de la visite de Clairvaux. Progrès social pour les uns, manifestation de la tyrannie de la rationalité moderne pour les autres, elles témoignent à leur manière des débats entre enfermement collectif et cellulaire.

Le terme « cage à poules » semble provenir de la prison parisienne de Saint-Lazare, où un quartier de correction cellulaire constitué de cages contiguës les unes aux autres, et appelé « la ménagerie », est installé au 19e siècle pour les détenues, et notamment les prostituées (surnommées « poules »).

Mais c’est dès l’Antiquité que des cages en bois bardées de fer sont utilisées pour enfermer des prisonniers à l’intérieur des prisons. Même si l’usage de cages par le roi de France Louis XI à la fin du 15e siècle demeure célèbre, il est loin d’être courant. Le roi les réserve à des prisonniers de marque qu’il souhaite humilier, mais qui y sont moins mal installés que les prisonniers ordinaires : pourvues d’un lit, d’une chaise percée et de tentures, elles épargnent à leurs occupants la promiscuité avec d’autres détenus. Lors de la Révolution française, elles sont considérées comme un symbole du despotisme royal qu’il faut détruire, comme à Loches en 1790. L’historien Jules Michelet ou encore Victor Hugo contribuent ensuite à renforcer la sinistre réputation de ces cages en fer qui alimentent l’imaginaire romantique du 19e siècle.

Cage en fer du château de Loches, 15e siècle
Source : Photographie privée.

L’idée d’enfermer des prisonniers dans des cages ou des box placés à l’intérieur des prisons ressurgit pourtant au cours de ce même 19e siècle, lors des débats sur les avantages et les inconvénients respectifs de l’enfermement collectif et cellulaire.

En France, les prisons cellulaires, qui visent à accroître l’isolement des détenus, peinent à s’imposer. Les premières datent des années 1830-1840 (maison d’éducation correctionnelle pour mineurs de la Petite Roquette ou encore maison d’arrêt de Mazas, à Paris). Les prisonniers y sont encellulés de jour comme de nuit dans des conditions particulièrement pénibles et les suicides y sont courants. Sous le Second Empire, le principe du « cellulaire » est abandonné en raison des critiques qu’il suscite et des coûts élevés qu’il entraîne.

La loi du 5 juin 1875 sur l’enfermement individuel réinstaure le "cellulaire", mais bien peu de prisons nouvelles sont construites. La plus fameuse est celle de Fresnes où, en 1898, on construit 1671 cellules dans lesquelles les détenus vivent dans l’isolement total. Toute communication est interdite et, quand ils sortent, leur tête est cagoulée. À la Petite Roquette comme à Fresnes, une chapelle cellulaire sert aux offices religieux et aux conférences édifiantes.

Détenus cagoulés, maison d’arrêt de Fresnes, 1930
Les détenus sont conduits au prétoirePrétoire : salle d’audience d’un tribunal ; en prison, tribunal interne équivalent à une commission de discipline chargée de sanctionner les détenus dont la direction de l’établissement réprouve les agissements ou comportements..
Source : © Henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP, M-24-031.
Chapelle cellulaire, maison d’arrêt de Fresnes, 1930
Source : © Henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP, M-24-020.
Chapelle cellulaire, maison d'arrêt de La Petite Roquette, 1930
Détenus dans les box de la chapelle cellulaire.
Source : photographie d’Henri Manuel © Michel Basdevant
LECTURE
La chapelle cellulaire de la prison de Fresnes en 1903
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Pourtant, nombre de prisons demeurent logées dans d’anciens bâtiments, guère propices au développement de la « fièvre cellulaire ». Des solutions alternatives sont alors recherchées. Ainsi, à la fin du 19e siècle, à Clairvaux, environ 500 « cages à poules », encore visibles aujourd’hui, sont installées dans les dortoirs des combles du grand cloître, au 3e étage.

Préfabriquées en bois, renforcées de plaques de métal et pourvues de claires-voies métalliques, elles sont équipées de manière rudimentaire : un lit, deux couvertures, une tablette, un vase de nuit (tinette) et un broc meublent un espace carré ou rectangulaire de 6 à 7 m². Elles sont disposées en batteries : 10 à 25 unités sont alignées et pourvues d’un mécanisme commun, permettant l’ouverture et la fermeture simultanées de chacune des rangées par un seul surveillant. L’objectif est d’y faire dormir individuellement les prisonniers.

Ce dispositif se retrouve dans nombre d’établissements pénitentiaires, à Fontevraud, à Nîmes, à Fresnes, à la Petite Roquette à Paris, par exemple.

Installé chaque nuit dans cet espace individuel qu’il s’approprie parfois en placardant des images ou en traçant des graffitis sur les parois, le détenu est protégé des agressions, notamment sexuelles, fréquentes dans les dortoirs collectifs. De ce point de vue, les « cages à poules » sont considérées comme une amélioration de la condition des prisonniers.

Cependant, des témoignages de surveillants et de détenus de Clairvaux soulignent combien la mise en cage nocturne est avilissante et éprouvante, la nuit étant peuplée des cris et gémissements des détenus, l’odorat malmené pour les effluves corporels. Les « cages à poules » suscitent donc des appréciations contradictoires dès la fin du 19e siècle. Elles demeurent néanmoins en usage durant une grande partie du 20e siècle dans plusieurs maisons centrales (Eysses, Poissy, Melan, Fontevraud) et maisons d’éducation surveillée (Aniane, Saint-Maurice). Clairvaux n’y renonce qu’en 1971.