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7. Cloître

Circuler

7.1 Cloître et circulations monastiques

Le cloître est à Clairvaux, comme dans les autres monastères, l’élément architectural essentiel autour duquel s’organisent les bâtiments monastiques et les déplacements des moines. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Lieu de passage obligé pour se rendre d’un bâtiment à l’autre, le cloître symbolise également l’enfermement volontaire du moine qui promet de passer sa vie à prier dans le monastère : il ne doit pas vagabonder en dehors de la clôture et, à l’intérieur de celle-ci, ses déambulations sont strictement réglées.

Aux 8e-9e siècles, l’organisation des monastères autour d’un cloître unique n’est cependant qu’une des configurations spatiales possibles parmi d’autres. Dans certains monastères importants (Saint-Vincent-au-Volturne en Italie, par exemple), on compte non pas une seule église et un seul cloître, mais plusieurs églises reliées aux autres bâtiments par un système de galeries et de cours. En revanche, dans d’autres monastères, les différents bâtiments sont distribués autour d’un carré claustral (Lorsch, Reichenau, Landévennec ou Hamage). Sur le plan de Saint-Gall du 9e siècle, qui figure la logique d’organisation de l’espace monastique carolingien, le cloître relie ainsi l’église au dortoir, au cellier, au réfectoire et à la cuisine.

Plan du monastère de Saint-Gall, 9e siècle
45 bâtiments sont figurés en rouge, avec des légendes à l'encre noire indiquant leur fonction. Le plan représente moins un monastère carolingien réel que l’articulation des édifices entre eux : l’église, le cloître et les bâtiments communautaires sont contigus afin de faciliter les circulations des moines à l’intérieur de la clôture. Les légendes indiquent aussi les circulations prescrites, autorisées ou interdites.
Source : St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 1092, f. verso – St. Galler Klosterplan.

Aux 10e-11e siècles,la topographie monastique se fige. Le cloître, qui visait principalement à articuler les bâtiments communautaires entre eux, devient un lieu à part entière. Avec l’église, il forme le cœur monastique, en théorie réservé aux moines, autour duquel se polarisent et se hiérarchisent les autres édifices (salle capitulaire, réfectoire, cellier) jusqu’à l’époque moderne. Au 18e siècle, les travaux de reconstruction de certains monastères aboutissent parfois à l’adoption d’autres configurations architecturales. À Bèze, près de Dijon, par exemple, le cloître est abandonné au profit d’un corps de logis unique. En revanche à Clairvaux, la forme cloître est conservée avec la construction d’un grand cloître de 50 mètres de côté.

Procession des religieuses, cloître de Port-Royal des Champs, 18e siècle
Procession dans le cloître de l’abbaye, le jour de la fête du saint sacrement. Gouache sur parchemin du 18e siècle, d’après une estampe de Madeleine Horthemels (1686-1767).
Source : Magny-les-Hameaux, Musée national de Port-Royal des Champs © RMN-Grand Palais

Le cloître organise les circulations au sein de l’espace monastique. Aux déplacements quotidiens des religieux, liés à leurs activités (prier, manger, dormir, travailler…), s’ajoutent ceux que nécessitent les cérémonies liturgiques (processions dans et hors de l’église, qui parcourent les différents lieux claustraux).

Les circulations collectives sont strictement rythmées et hiérarchisées : règle et coutumes déterminent les moments où les moines se déplacent, l’ordre dans lesquels ils doivent le faire (qui est fonction de leur ancienneté) ainsi que leurs gestes, postures et expressions. Ainsi le coutumier de l’abbaye bénédictine d’Eynsham du 13e siècle explique que les novices doivent apprendre à se tenir et à marcher, ce qui participe de leur apprentissage de la discipline monastique.

LECTURE
Bien se tenir dans le cloître
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Plus généralement, l’ensemble des comportements monastiques est réglé par une routine coutumière ayant pour objectif de promouvoir l’unité et l’harmonie. Certains moines se déplacent cependant plus que les autres, comme les circateurs Circateur : moine chargé par le supérieur d’effectuer des rondes dans le monastère afin de surveiller les autres religieux., qui « parcour[en]t en tout temps, avec vigilance, le cloître et les ateliers pour éviter qu’aucune faute ne se commette dans le monastère » (coutumier de Fleury, 10e siècle).

Moines assemblés dans le cloître, 15e siècle
Détail de Simon Marmion, Retable de saint Bertin, 1459.
Source : Wikimedia Commons.

Mais le cloître n’est pas qu’un lieu de circulations réglées. Les religieux s’y lavent les pieds, les mains et le visage au lavatoriumLavatorium : bassin ou fontaine au centre du cloître destiné aux ablutions des moines., s’y rasent barbe et cheveux, y lisent et s’y détendent dans les rares temps libres dont ils disposent. Le cloître est également le seul lieu où ils peuvent rompre le silence, non sans débordements parfois. Chez les chartreux, qui vivent dans la solitude de leur cellule, la récréation dans le cloître ne survient qu’une fois par semaine. Les religieux ne doivent s’entretenir que de sujets spirituels, éviter d’élever la voix et de rire bruyamment.

Plan de la chartreuse de Bosserville, 18e siècle
Fondée au 17e siècle, la chartreuse est construite avec les pierres des fortifications de la ville de Nancy que le roi Louis XIV a démantelées : au centre, l’église, sur son flanc sud le petit cloître et, à l’arrière-plan, un grand cloître autour duquel sont organisées les 24 cellules individuelles des moines-ermites, chacune étant pourvue d’un jardin.
Source : Plan de Nicole à Nancy, 1750. gallica.bnf.fr /BnF.