Détenus marchant tête baissée et bras croisés autour des plots, sur lesquels ils s’asseyent lorsqu’on leur en donne l’ordre.
Source : © Henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP, M-27-020.
Les grandes prisons médiévales et modernes sont parfois dotées de lieux d’isolement fermés dont la sûreté et l’inconfort sont inégaux, ce qui permet de moduler les régimes de détention selon le motif de l’arrestation, la dangerosité supposée des détenus ou encore leur comportement, y compris hors de la prison : ainsi, un prisonnier pour dette du Châtelet de Paris au 15e siècle peut être envoyé dans la fosse pour un blasphème lâché au cours de son procès, par exemple.
Au cours du 19e siècle, ces lieux aux dénominations diverses (cachot, mitard, etc.) cèdent peu à peu la place aux quartiers disciplinaires ou cellulaires. L’isolement, qui vise aussi à éviter toute propagation de la désobéissance au sein d’une population carcérale souvent nombreuse, prive le détenu de tout contact social et redouble momentanément sa peine ; il peut s’accompagner de châtiments supplémentaires (entraves, privations alimentaires, par exemple).
Ces sanctions n’ont pas toujours l’effet escompté. En 1842, le directeur de la maison centrale de Montpellier se plaint du comportement d’une détenue auprès du préfet de l’Hérault. Il souligne « son insensibilité aux remontrances, même aux punitions les plus sévères. […] Mise en cellule […], elle n’a cessé de prononcer des menaces […]. J’ai ordonné, ce matin, de lui mettre la camisole de force, et elle a reçu ce surcroît de punition en disant que rien ne la dompterait, et qu’elle mourrait plutôt que de changer de conduite » (AD Hérault, 1 Y 191).
À l’inverse, d’autres sanctions, loin de soustraire le détenu de la communauté carcérale, le placent au contraire sous le regard des autres. Dans les maisons de discipline allemandes du 18e siècle (Zuchthäuser), une des punitions récurrentes consiste ainsi à infliger des coups à ceux qui ont commis une faute grave. Cette fustigation est exécutée devant l’ensemble des reclus, le but étant moins de faire souffrir le fustigé que de l’exposer à l’opprobre et de dissuader les autres de l’imiter. Dans ce type d’établissement, cette punition peut même être administrée à titre préventif aux nouveaux forçats, dès leur arrivée dans l’établissement : elle est cyniquement appelée la « bienvenue ». À Waldheim, en Saxe, une gravure de 1716 représente ce rituel réalisé au pied de la « colonne punitive ».
Ce type de punition publique ne disparaît pas des nouveaux codes pénaux du 19e siècle. À Embrun, vers 1810, le concierge peut placer les fautifs « sur un poteau élevé de 50 cm hors de terre dans la cour ou dans les ateliers, un pied sur le poteau et l’autre suspendu » durant le temps de la promenade ou pendant une heure dans les ateliers. Quant au directeur de la maison centrale du Mont-Saint-Michel, il défend auprès au ministère de l’Intérieur – sans succès – la réintroduction des coups de fouet, plus efficaces selon lui que la réclusion dans un cachot.
Au-delà du fouet et de la camisole de force, la gamme des punitions autorisées, qui précèdent, accompagnent ou remplacent la mise à l’isolement, est assez étendue : privation de promenade et de lit, régime au pain sec et à l’eau, port d’un collier de force scellé au mur ou de menottes, cangueCangue : instrument de torture ayant la forme d’une planche percée de trous dans lesquels on introduisait la tête et les mains du supplicié., etc. En France, dans la première moitié du 19e siècle, ces punitions sont décidées par les directeurs d’établissements, qui jouissent d’un pouvoir disciplinaire très large. Ce n’est qu’en 1842 que le ministère de l’Intérieur instaure une procédure disciplinaire moins arbitraire : après signalement par un gardien, le directeur décide, ou non, de la comparution du détenu fautif devant le « prétoire de justice disciplinaire », une sorte de tribunal interne de la prison. Celui de Clairvaux a été immortalisé par le photographe Henri Manuel en 1931.
Une trentaine d’années plus tard, en 1876, une solution alternative aux châtiments et à l’isolement individuel total est créée par une circulaire ministérielle. Elle prévoit une « salle de discipline » où plusieurs prisonniers subissent ensemble leur punition.
Selon une description de l’anarchiste Pierre Kropotkine, incarcéré à Clairvaux de 1883 à 1887, la punition en « salle de discipline » est particulièrement éprouvante : « les détenus punis disciplinairement sont soumis à un véritable supplice qui consiste à marcher tout le long du jour dans une cour circulaire, à la file et en suivant le pas ; une marche de 20 minutes est suivie d’un repos d’égale durée, et ainsi de suite pendant 12 heures. La nuit, isolement en cellule. Ce régime rend fou l’homme le plus équilibré. » (Conférence Kropotkine, « On ne peut pas améliorer les prisons », 1887). Les salles de discipline sont supprimées en 1947.