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8. Quartier disciplinaire

Surveiller - punir

8.4 Surveiller

Enfermer permet de surveiller. Cette surveillance, à Clairvaux comme ailleurs, s’exerce de multiples manières : elle peut être mobile, grâce à l’emploi d’un personnel spécifique, ou statique, par la mise en place de dispositifs mobiliers ou architecturaux.

Dans les monastères, les religieux se surveillent les uns les autres. Les règles monastiques font du dortoir ou du réfectoire des lieux de contrôle mutuel.

Par ailleurs, certains moines sont spécifiquement chargés d’effectuer des rondes. Au 11e siècle, à Cluny, le prieur, qui seconde l’abbé, suit ainsi un parcours défini à l’avance après le dernier office de la journée : parloir pour s’assurer que la porte communiquant avec l’aumônerie est close, puis cuisine, réfectoire, bibliothèque des enfants et enfin quartier des novices. Autrement dit, il visite les lieux les plus sensibles, en raison de la présence occasionnelle de laïcs dans le parloir, de jeunes recrues ou encore de nourriture.

En revanche, les rondes des circateurs Circateur  : moine chargé par le supérieur d’effectuer des rondes dans le monastère afin de surveiller les autres religieux., ces moines spécialement désignés pour surveiller les autres, sont plus libres et doivent s’assurer que chaque moine se trouve à tout moment en son « lieu propre », selon la formule des coutumes de l’abbaye bénédictine Mont-Cassin (vers 750) : ils peuvent surgir n’importe où, à n’importe quel moment pour confondre le moine fautif et le dénoncer lors du chapitre des coulpes Chapitre des coulpes : lors de la réunion des religieux dans la salle capitulaire, les moines fautifs sont tenus de dénoncer les fautes qu’ils ont commises et celles de leurs confrères. .

Au 16e siècle, le renforcement de la clôture confère un rôle primordial au portier. r. Dans les monastères masculins, il est chargé de filtrer les entrées et de refouler les femmes. Dans les couvents féminins, le contrôle de la clôture incombe aux sœurs tourières Tourière : dans un monastère ou couvent féminin, religieuse chargée de l’accueil et de la surveillance à la porte. Dans les couvents des 19e et 20e siècles, le durcissement des règles de clôture conduit à la séparation stricte entre les sœurs vivant à l’intérieur de la clôture et les sœurs tourières chargées de l’hospitalité et des contacts avec le monde extérieur. Les tourières vivent au monastère mais en dehors de la clôture., dont la cellule est placée en face du « tour », et aux auditrices, des religieuses âgées chargées d’écouter les conversations au parloir.

Parloir d’un couvent de religieuses, 15e siècle
Pour empêcher les paroles profanes d’une visiteuse d’entrer dans le couvent, les nonnes ferment les volets du parloir, tandis qu’une religieuse plus âgée se bouche les oreilles.
Source : Traduction en italien des Lettres de saint Jérôme contenant des règles pour des religieuses. Chicago, Newberry Library, INC 5765.

La surveillance dans les prisons médiévales et modernes, quant à elle, fait l’objet d’une attention moins forte,la sécurité étant essentiellement assurée par une succession de murs. En effet, le contrôle permanent et mutuel, instauré très tôt dans les monastères, peine à s’installer et les surveillants sont souvent très peu nombreux par rapport au nombre de prisonniers. Au Châtelet de Paris, au 15e siècle, cinq personnes veillent sur une centaine de prisonniers. À la Conciergerie, au 17e siècle, une dizaine de gardiens ont en charge 200 à 300 détenus. De même, dans la maison de discipline saxonne de Waldheim en 1766, on compte seulement trois « maîtres de discipline » (Zuchtmeister) pour plus de 500 résidents. La faiblesse des effectifs de surveillance est censée être compensée par la régularité des visites des gardiens à l’intérieur de l’enceinte.

LECTURE
Les missions d’un geôlier en 1380
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Cependant, la sécurité est également assurée par la présence, parfois massive, de soldats ou de personnels armés qui protègent l’enceinte extérieure afin de prévenir les sorties illicites. La sécurité extérieure prime donc sur une surveillance rigoureuse à l’intérieur – cette dernière étant en outre difficile en raison de l’agencement des espaces souvent inadapté. Dans la maison de discipline de Zwickau (Saxe) logée dans un ancien château, un gardien est ainsi chargé, en 1807, de la surveillance de deux ateliers comprenant 120 détenus ; accusé de négligence après une évasion, il explique qu’il est incapable de savoir « ce qui se passe à la fois dans l’une ou dans l’autre pièce » (Dresde, Sächsisches Hauptstaatsarchiv, 10116, loc. 5921, vol. 5).

Cette primauté de la sécurité extérieure persiste dans les prisons du 19e siècle, même si la surveillance se renforce. En effet, la population est plus homogène, souvent plus nombreuse et davantage encline aux confrontations violentes, telles que les révoltes. En 1820, à Fontevraud, les soldats sont placés dans plusieurs casernes situées près des portes, mais aussi dans l’église afin de contenir la masse des détenus.

Les soldats dans la maison centrale de Fontevraud, 1820
Plan du rez-de-chaussée avec indication des lieux où sont placés les soldats (casernes, église), 20 novembre 1820.
Source : Pierrefitte-sur-Seine, AN F 16/409.

De même, à Clairvaux, la sécurité périphérique est confiée à une troupe de militaires, tandis qu’à l’intérieur, des gardiens surveillent les détenus dans les réfectoires, les corridors, les préaux, les ateliers. Les deux types de personnels de surveillance apparaissent encore clairement sur les photographies prises par Henri Manuel dans les années 1930.

Ces dispositifs de surveillance mobile sont complétés et renforcés par des éléments mobiliers et architecturaux, tels que les œilletons, les portes à guichet, les chemins de ronde et les tours de guet.