Durant l’été 2017, le vacarme des pelleteuses et marteaux piqueurs trouble le silence de Clairvaux. Afin de rendre irréversible la décision du ministre de la Justice de fermer la maison centrale en 2022, l’un des bâtiments de détention construit en 1970-1971 est rasé. Ces travaux controversés ne sont pourtant que l’ultime avatar des nombreuses interventions qui, au fil du temps, ont modifié les différents espaces, sans pour autant changer la nature du site.
Depuis sa fondation au 12e siècle, l’abbaye connaît d’importantes transformations spatiales, même si ses archives, faute d’être bien étudiées, ne les ont pas encore toutes révélées.
En 1115, un petit groupe de moines fonde un premier monastère à l’emplacement appelé aujourd’hui encore le Petit Clairvaux. Vingt ans plus tard, la communauté s’étant considérablement étoffée, la construction d’un nouveau monastère est entreprise 400 mètres plus à l’est. Ce chantier s’étend sur plusieurs décennies (la couverture en plomb de l’église n’est posée qu’en 1178, par exemple).
Entre 1728 et 1788, une nouvelle campagne de destructions et reconstructions de grande ampleur et d’un coût élevé est menée par les abbés Robert Gassot, Pierre Mayeur puis François Lebloy. Seuls quelques bâtiments médiévaux sont épargnés (bâtiment des convers et église), les autres cédant la place à de majestueux édifices de style classique (réfectoire, grand cloître, infirmerie...) qui subsistent encore aujourd’hui.
Après sa transformation en maison centrale en 1808, Clairvaux connaît également d’innombrables travaux. À partir de 1817, l’ancien bâtiment des convers est adapté au logement et au travail des femmes qu’on y installe alors. En 1820, des ateliers de travail pour les hommes sont construits au nord du grand cloître, sur l’emplacement d’une partie de l’église.
En 1824, l’écurie de l’abbé, édifiée au 18e siècle à l’est de la porte d’entrée, est surélevée pour accueillir des jeunes condamnés (« prison des enfants ») et en 1857, une chapelle est ajoutée. Dans les années 1860, un « quartier disciplinaire », bâti à l’est du site, sert à la fois de lieu de punition et de quartier d’isolement. Enfin, en 1970-1971, un nouveau complexe est érigé, lui aussi au nord du grand cloître, pour loger l’ensemble des détenus. Parallèlement, l’organisation du quotidien (travail, repas, repos), les exigences liées à l’hygiène (canalisations, lavoir, buanderie) et à la sécurité (grilles, murs, dispositifs de surveillance) génèrent sans cesse de nouveaux chantiers.
Enfin, la patrimonialisation du site entraîne elle aussi d’importants travaux. Le bâtiment des convers, abandonné par l’administration pénitentiaire depuis 1955, est restauré à partir de 1969 afin de lui redonner son aspect du 12e siècle.
Entre 2013 et 2015, à l’occasion de la célébration du 9e centenaire de la fondation de l’abbaye, c’est au tour du réfectoire des moines, devenu chapelle des prisonniers au 19e siècle. Cette dernière campagne de restauration conserve la trace du double passé monastique et carcéral de Clairvaux, à l’inverse des choix opérés à Fontevraud ou au Mont Saint-Michel où la période carcérale est quasiment occultée.
De nouveaux chantiers seront nécessaires dans les années à venir afin de préserver les autres bâtiments des outrages du temps et de les adapter, pourquoi pas, à une nouvelle destination : celle d’un lieu muséal.
Si ces travaux concernent d’abord l’abbaye, puis la prison, ils tissent néanmoins des liens entre ces deux institutions par le transfert de pratiques et, plus encore, par la transformation continue des espaces. Quelques paramètres expliquent le caractère continu des travaux : la très longue durée des chantiers monastiques aux époques médiévales et modernes ; la fluctuation des effectifs de moines et de détenus, aux conséquences directes sur l’organisation spatiale de la vie quotidienne ; les accidents divers (incendies, écroulements, dommages liés aux conflits armés) qui imposent d’incessantes reconstructions ; le rôle assigné au travail qui implique aménagements et nouvelles installations, tout comme les réformes religieuses (renforçant la clôture des religieux, par exemple) et pénitentiaires (poussant à encelluler les détenus, par exemple)…
De tous ces points de vue, Clairvaux, ancienne abbaye riche et prestigieuse devenue maison centrale jusqu’à aujourd’hui, incarne bien l’idée du chantier permanent.